Ce texte dépasse le nombre de mots habituellement requis pour les articles de la . Ce texte n’est pas le premier texte que j’écris concernant les abus, agressions et injustices commises contre les femmes. Ce texte comporte des liens vers d’autres textes pour essayer, un peu, de mettre la lumière sur le mal qui nous ronge toutes. Ce texte comporte la voix ajoutée d’une victime anonyme. Ce texte t’encourage à lire, à écouter. Ce texte t’encourage à parler.
Tu as brisé le silence, je t’en remercie.
Laisse-moi dès maintenant garantir ta sécurité.
— Personne
C’est pas vrai qu’il y a une culture du viol, maudite gang de menteuses d’agaces-pissette!
— Les monstres
« En 2016, je peux pas croire que ça arrive… »
Un pas de géant devant le monde,
un petit pas de rien du tout dans l’intimité.
Il y a un an, on déterrait un problème plus grand que nous, soit la vague d’agressions, de viols, de meurtres, de disparitions de femmes autochtones. On était « surpris », « choqué ». Dans la tourmente, qui n’était pas nouvelle pourtant au sein de la communauté et du Ministère au pouvoir, deux représentantes, Melissa Mollen Dupuis (activiste innu) et Michèle Audette (ancienne présidente de Femmes autochtones du Québec), sont allées verbaliser quelques faits de cette croisade épouvantable du droit blessé.
Après avoir estimé à 3000 le nombre de femmes tuées ou disparues, l’une d’elles a dit : « On ne devrait pas nous demander de survivre. On devrait nous offrir l’opportunité de vivre. »
C’était il y a un an.
***
« Patience : forme mineure de désespoir, déguisée en vertu. »
— Ambrose Bierce
J’ignore si ces temps-ci, le soir, les Autochtones peuvent faire du pouce sans avoir la peur au ventre de mourir dans le détour. J’ignore si chaque femme autochtone sait aujourd’hui vers qui ou quoi se tourner si elle est victime de violence. Le gouvernement leur a promis…
Il y a quelques mois je m’exprimais ainsi sur la sentence de Brock Turner, la lettre de la victime, et les réactions suscitées : Parfois c’est plus sournois; on s’évertue à créer un vernis à ongles qui change de couleur quand il y a du GHB dans ton cocktail. Des jeans « anti-viol », un sifflet « anti-viol ». Au lieu de condamner les agresseurs, de trouver racine dans l’éducation, l’encadrement, dans du support aux victimes, pour conduire vers un changement des mentalités, on dit aux femmes de s’armer davantage.
C’était avant les portes débarrées, les mots de Denis Brière, avant qu’on nous raconte l’ascenseur qui a mené à la chambre d’hôtel de Gerry Sklavounos, le passé sexuel d’Alice Paquet déterré et jeté en pâture de la façon la plus rapace qui soit.
À l’instant où j’écris ces lignes, Manal Drissi vient d’expliquer en moins de 5 minutes dans une vidéo percutante qu’est-ce que c’est que la culture du viol en réfutation à l’article condamnable de Denise Bombardier.
Le Devoir a publié une lettre de Diane Courchesne, du Comité de la condition des femmes de la CSQ : Chaque fois que ces histoires horribles sont révélées au grand jour, les dirigeants en place promettent d’agir et se désolent du sort des victimes. (…)
Ce dont nous avons besoin, c’est d’un véritable plan d’action, d’une stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer les violences sexuelles. Nous en avions déjà besoin il y a trois ans, alors que le gouvernement en annonçait la mise en œuvre.
Nous ne voulons plus attendre. (…) Nous ne voulons surtout plus nous taire.
Encore.
On ne devrait pas nous demander de survivre.
On devrait nous offrir l’opportunité de vivre.
On retrouve un commentaire à la fin de cet article d’un monsieur qui déplore l’avènement du féminisme, qu’il accuse du même souffle d’être responsable de la dénatalité, d’une montée des ITS, et de creuser davantage les inégalités sociales.
Écrire un commentaire pareil à la suite d’un article qui demande réparation de justice pour les victimes de crime.
« What. The. Actual. Fuck. »
— Simone de Beauvoir
Fait que je lis ça.
Je décide de tout lire.
Toute, esti.
Tous les articles.
Tous les commentaires.
De toutes les tribunes que je vois passer.
Les commentaires bourrés de fautes écrits avec une photo « pas de profil » d’avatar.
Les commentaires bien écrits qui fustigent les femmes avec leurs beaux mots du dimanche.
Les commentaires des hommes gênés, qui savent pu où se mettre, dépités devant l’horreur commise par les agresseurs puis par les horreurs écrites par ces commentateurs dont ils partagent le sexe.
Des commentaires de femmes outrées, qui parlent à coup de tabarnak (comme moi), ou qui parlent à coup de chiffres, d’études, avec la patience de l’éducatrice d’Helen Keller devant ces défendeurs de violeurs.
Des commentaires de femmes qui pourfendent les autres femmes, qui prennent le côté de l’agresseur.
Allez vous faire un chaï pour y penser : Des. Défendeurs. De. Violeurs.
Non, allez, penses-y.
Non, vraiment, on va prendre le temps… Entre deux serrures mal barrées.
Le problème est là, une plaie vive qu’on bourre de sel et de pus. Comme si en donnant son air aux femmes étouffées, la poffe se devait de venir des poumons même des hommes. Comme si quelqu’un allait perdre au change de donner les libertés et le respect dus aux femmes. Comme ce juge qui demande à la victime « pourquoi elle n’a pas fermé ses genoux » quand elle s’est fait violer. Admettre que l’agresseur est l’unique responsable de l’agression est, pour eux, même la justice, inconcevable.
Défendre les agresseurs, moi je vous dis, c’est high fiver Satan.
Une autre étude récemment dévoilée démontrait que près d’un homme sur trois sur les centaines d’hommes de 21 à 35 ans testés violerait une personne s’ils étaient certains de ne pas se faire prendre. Ce n’est pas inné pour un homme, pourtant, de violer, d’agresser. Les résultats sont horribles. Horrible que l’individu réalise que l’acte en est un d’agression, que c’est un crime, mais qu’il poursuivrait pareil s’il le faisait sans se faire prendre. À force de raisonnements en prenant les récents exemples, l’impunité se poursuit. Ces ardents défenseurs de violeurs, érudits de bout de clavier, mettent une énergie folle à essayer de démentir les témoignages apportés par les victimes. Un manque d’humanité qui rapproche de la bête et pourquoi?
Qui gagne à cette folle lubie de défendre les agresseurs, d’essayer de prendre en défaut une victime d’agression?
On n’avance pas.
On tue.
On se terre.
On se fait fourrer dans le cul jusqu’aux intestins de la bêtise.
« Le monde est malade. »
— L’Étrangleur de Boston
Cette énergie, ce dévouement à nier que les victimes de viol en sont bel et bien, de si oui ou non la face d’Alice Paquet leur revient, de ces commentateurs qui s’épandent en long et en large que ce n’est pas vrai, qu’elles mentent, qu’elles veulent de l’attention, puis qui refusent même les chiffres sortis d’études de cas rapportés. Cette fougue, cette passion de légitimer les crimes sexuels, je ne comprends pas ce qu’ils y trouvent, de se rendre complices du sordide. Parce que les gens ne défendent pas naturellement ce qui ne fait pas écho à leurs intérêts personnels, la logique de ces débatteurs de crimes rapportés (quand ils sont rapportés) serait d’aplanir le terrain, de banaliser la chose au point que quand viendrait le tour, où l’envie leur prendrait, à eux aussi pourquoi pas, de planter leur sexe de force sur quelqu’un qui ne veut pas, ben ça serait pas de leur faute. Parce que la culpabilité, c’est lourd à porter « pour 20 minutes d’action ».
Et les femmes absorbent.
Et les victimes n’oublient pas.
Est-ce que les agresseurs oublient, eux?
***
Je continue de lire toute la haine parce qu’elle fait cliquer plus que l’amour.
Et c’est dans tout.
On parle de Trump plus qu’on ne parle de perspectives d’avenir positives pour le pays dont les deux représentants politiques se battent pour.
Je continue de lire dans ma chambre.
Ma coloc doit penser que chu morte.
Pour me casser le mood, je me tape des vieux épisodes de Friends.
J’essaie d’oublier les #onnevouscroitpas
Je regarde Chandler et Joey super effrayés et mal à l’aise quand un tailleur de pantalon leur effleure le batte. (Saison 2)
Imaginez si les hommes hétéros sont si mal lorsqu’ils se font toucher par un autre homme.
Imaginez comment les femmes se sentent.
Un contact non désiré, c’est exactement la définition de ce que ça veut dire, Chandler!
Un. Contact. Non. Désiré. Joey.
Je crie à mon laptop.
J’espère que ma coloc m’entend pas.
Puis on m’a écrit.
***
« Bonjour madame Moscini,
Je vous écris en réaction à votre article sur l’affaire Brock Turner.
Je ne sais pas trop par où commencer. Ce texte sera probablement plutôt décousu, mais je vous remercie beaucoup de prendre le temps de le lire. »
À la demande de l’auteure du message, je conserverai son anonymat et les détails de son récit.
Dans un long, douloureux, puissant texte où il faudra que je m’arrête en cours de lecture, bouleversée, triste, en larmes, enragée, elle me raconte cette même actualité qu’elle voit autant que moi. Mais elle me parle de comment ça lui rentre dedans, dans ses blessures à elle, blessures qu’elle s’est efforcée de taire pendant longtemps. Une honte en sort, de cette voix paralysée au fond d’elle-même à l’heure où on encourage les victimes à crier au nom de la liberté. Et au fond un dégoût d’elle, une révolte sourde la prend. D’en venir à détester que l’univers entier conspire à essayer d’ouvrir le tiroir qu’elle met tant d’énergie à maintenir fermé, qu’elle décrit comme une lutte parallèle et invisible.
Elle me parle des automnes.
Elle me fait remarquer qu’en automne, l’actualité s’emplit d’histoires de viols, de femmes abusées. Pour rappeler aux femmes la peur, dit-elle, archétype universel des sorcières brûlées qui sont tombées dans l’oubli.
Rachel Chagnon, professeure de sciences juridiques et directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM, décrit qu’effectivement les dénonciations parviennent par cycle, par saison, comme si une encourageait une autre, qu’il se formait une espèce d’écho qui, avec le temps et l’absence de changement, de démarches de nouvelles lois, de condamnations exemplaires, tout ça retombe dans l’oubli, public.
Je poursuis la lecture de son message.
Les victimes n’oublient pas me confirme-t-elle.
Un ruban qui rejoue où elles s’en veulent de ne pas avoir crié « Non! » assez fort. Est-ce que ça aurait suffi? Les yeux qui veulent fuir et qui focalisent sur n’importe quoi pour occuper le regard pour se croire ailleurs, pour trouver la force, pour avaler l’avalanche. Les victimes ont des lieux, des dates, des souvenirs qui leur collent dessus et qui ne les quitteront jamais. Est-ce que le choc s’en va vraiment? Il revient par vagues, il vient les chercher dans l’isolement, puis il y a toujours les automnes où les nouvelles récidivent, attaquant ce tiroir qu’on peine à fermer. Est-ce ça, aussi, le prix à payer?
Je lui dis qu’il n’y en a pas, de prix à payer. Qu’il ne devrait pas y en avoir du moins. Je voudrais lui recommander plus d’aide. Je lui dis que je voudrais lui recommander plus d’aide. Que je la trouve brave d’avoir écrit, qu’elle devrait le faire plus souvent, encore.
Dans son message, elle conclura :
Je veux te témoigner de ma version personnelle de cette chasse aux sorcières invisible, de cette féminité blessée qui rugit en moi. Et aussi parce que je sais que je ne suis pas la seule à porter des histoires semblables.
***
À l’auteure de ce message, je te remercie encore.
***
On arrive à un âge où on est appelé à être de plus en plus vocal sur tout, de l’actualité à nos humeurs, à notre accessibilité à prendre le crachoir pour dénoncer. Si certains étrons s’en servent pour porter au secours et à la pérennité des agressions impunies, j’espère, je souhaite qu’ils se fassent enterrer par le torrent des dénonciations à venir. J’admire la bravoure de ces victimes et des actions, citoyennes parce qu’elles ne viennent pas d’un ministère han, ce souffle chargé d’une force d’entraide solidaire et sanitaire à toutes et pour tous, qui ouvre la voie et la voix à toutes et tous. Que le mot qui puisse circuler est que Ça ne passera plus. Et que sous la force de ces horreurs dénoncées, comme un chat avec la face dans sa pisse, la société, le gouvernement, les paliers scolaires, les parents, les individus, les communautés mettent de leur sien pour éduquer à mieux. Pour que ça n’arrive plus du tout, à personne. Il en prend de l’enthousiasme de penser qu’il s’agit d’un pas vers l’avant vers le mieux, et que nous ne reculerons plus.
Et tu as raison, tu n’es pas seule.
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Le 26 octobre y’aura une marche organisée simultanée à plusieurs endroits dans la province. Il faut s’y joindre, pour elles, pour toi, pour nous.
© Les folies passagères, Maude Bergeron
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