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Un jogging sous la pluie

Je cours dehors en esquivant les flaques d’eau.

Je bondis puérilement, frénésie insouciante de l’instant parfait capté au vol par les deux mains du temps qui l’écrasent presque par peur qu’il foute le camp. Aussi furtif qu’une larme de soleil qui cligne, alliciante et insaisissable, à travers les figures irrégulières tracées entre les feuilles veloutées des arbres. Mais il arrive que la synchronisation de mes pieds ne concorde pas avec l’intermittence des petites mares, alors je m’éclabousse et je ris pour rien. J’absorbe les gouttes d’eau sur mon visage, jusque dans mes pores spumescents, comme s’il s’agissait en réalité d’un élixir vivifiant qui découlait du fuseau filamenteux d’une éclipse éventrée sur la verticale qui me purifie l’âme depuis le sommet de sa pénombre. Oh!

Tandis que d’autres jubilent à l’approche tant espérée de l’unicité d’un ciel bleu clair et des chauds rayons qui stimulent la chair fiévreuse, je suis plutôt de celles qui, secrètement, se réjouissent trop souvent de le voir un peu plus colérique. Il est séduisant quand il se fâche n’est-ce pas?

Ces jours de pluie, j’en ai besoin, car ils me permettent de me ressourcer et d’embrasser d’un french bavant mon inspiration de bruine qui s’évapore ti-peu trop vite quand l’air est sec, et le ciel ensoleillé.

Je cours dehors en esquivant les flaques d’eau.

Et subito, je me pète la margoulette. Je gis sur le sol plâtré d’une pluie épaisse, face contre l’asphalte. C’était tant mieux parce que j’avais une idée qui pendouillait de mon esprit comme une morve élastique trop tenace. Comme la perle lumineuse suspendue d’un poisson-lanterne. Elle s’est expulsée aussi rapidement qu’un éternuement. Elle était dans le chemin. *bruit de klaxon*

Courir sous l’étendue des gouttes me permet d’essorer les pensées qui engorgent ma circulation spirituelle, pis là, nulle part en plein milieu du temps, à l’orée de la ville aux mains moites, mes idées décoincent et se tassent du chemin. Pour ce qui est de mon corps gisant, il s’est tassé en même temps que le reste, parce qu’une horde de gros chars polluants klaxonnaient pour de vrai. Non mais! *bruit de klaxons incessants*

« L’éther se couvre de denses mousses pommelées grises qui giclent tandis que mon esprit s’éclaircit »

Comme on l’entend communément, « après la pluie vient le beau temps », mais il y a ce moment figé avant l’éclair pendant lequel il peut se produire un phénomène on ne peut plus exceptionnel : l’accalmie annonciatrice d’une renaissance intérieure, une fuite du projectile temporel qui accueille, dans l’intervalle des morts électrostatiques, le retour à neuf des émotions incandescentes. Allez, c’est là le temps de cracher le feu qui brûle la langue! De laisser briller la créativité aveuglée qui jaillit par tous les orifices! D’être aspiré par des lasers magnétiques de paix! Flotter, y croire. Se sentir léger, comblé. Tout est possible à présent.

Les parapluies qui volettent dans les rues comme des souffles de rêves au-dessus des perruques perroquets, le clapotis hypnotisant qui chatouille avec trop grande ferveur et insistance leur toile en fleurs fragiles. L’harmonie naturelle du paysage et des vivants qui l’habitent unis par le partage de l’humeur ambiante et des pulsions atmosphériques. Humains vagabonds ou nuées égarées intimement reliés par cette apaisante musique de fond de l’orchestre inondée, unique mais universelle.

Une musique qui rend les mots inutiles, remplit le vide sidéral et me rend sourde d’autres sons que du sien. L’obscurité qui se déroule graduellement étouffe le bruit superflu, le bruit qui agace, le bruit barbouillé qui dépasse des lignes telluriques. Je peux enfin rire, pleurer ou crier. L’écho de ma voix se perdra déjà un pas plus loin, je n’ai pas d’incidence sur les alentours. Je suis là pour rien et je ne suis presque rien, j’entends au loin les tourmentes qui applaudissent foudroiement cet aveu.

Les volets du ciel qui se ferment maintenant sur moi, je me sens oubliée. Une isolation qui pour une fois me coupe du vacarme obscène des voisins d’en haut. Je ne suis plus obligée de sourire au monde entier qui regarde un peu trop souvent les rayons du soleil qui miroitent sur mes dents presque blanches mais pas vraiment.

La grandeur du monde alors blottie dans un confort de coton, je me laisse enfin aller dans ma petitesse insignifiante. Laisse-moi bouder dans mon coin mouillé. Pour un soir. Ou pour cette nuit toute entière. J’attendais l’intimité du ciel sibyllin depuis si longtemps : c’est là que mon âme et moi pouvons élaborer de grandes stratégies à l’atteinte du bonheur.

Puis, lorsqu’il se déverse sur moi, virilement et sans retenue, signe de sa désinvolture infinie, il me laisse entendre par ses pleurs une approbation à ma peine : il est tout à fait convenable de se sentir orageux par moments.

Je cours dehors en esquivant les flaques d’eau.

Mon plaisir est une enfant que je surprends souvent en train de baguenauder au fond des cratères d’eau des ruelles environnantes lors des jours maussades. Là-bas, elle y trouvera toujours source de plaisance intarissable. Une petite « pluviophile » impulsive dont le petrichor calme la turbulence cyclonique de son esprit agité. Une odeur rôdeuse aux propriétés de printemps. La nature se réincarne tout en même temps que moi.

Et au terme de cette épopée galopante mouvementée, après un jogging exténuant qui suinte en images et crache en réflexions, je me pose sur les plaines d’Abraham. Je me couche de toute ma longueur dans l’herbe jaunie qui insiste pour que j’absorbe l’eau qui ruisselle sous ses aisselles. J’ouvre la bouche à la capacité maximale de ma mâchoire pour goûter la mixture colorée du produit du ciel (après 10 km, j’avais soif quand même) et des arcs-en-ciel se formant soudainement sur l’horizon jusqu’au zénith.

Quand quelque chose goûte le ciel, cela goûte-t-il la pluie? Mais enfin.

Un éloge à l’exceptionnel inconscient qui réside dans les phénomènes naturels des plus habituels.

Source photo de couverture

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