« Tu penseras à moi dans le meilleur ».
Ma grand-mère a dit ça à ma mère alors qu’elle allait retrouver un garçon.
Cette phrase-là, elle me fait toujours sourire.
Ça m’a rappelé ta grand-mère
J’te dis ça de même, parce que je suis tombée sur le chapelet de ta grand-mère cette semaine, en faisant des boîtes.
Tu me l’avais donné, à son décès. J’pense – tu sais que j’ai pas une bonne mémoire pour ces affaires-là. Tu me l’as donné, peu importe c’était quand, même si c’était ta grand-mère, même si je ne l’avais vue qu’une seule fois, et que les questions de Foi, ça fait toujours plus ton affaire que la mienne.
Je l’ai rencontrée une seule fois, ta grand-mère, dans cette seule échappée chez ta famille. Une fin de semaine d’hiver.
J’me souviens de ta maison d’enfance, de tes parents autour d’un spaghetti. D’un déjeuner avec ta mère et de ta crêpe à la salade de fruits. T’aimais beaucoup ça la salade de fruits.
Ça me fait sourire, juste à y penser.
Et je me souviens de ta grand-mère. J’me souviens de toutes les précautions et les attentions dont tu m’avais entourée afin de m’y préparer. Mais j’y tenais. J’voulais la rencontrer, peu importe les risques que ça comportait. J’voulais voir la maison que ton grand-père avait construite de ses mains et que tu désirais racheter pour t’établir.
J’me souviens que, de l’entrée de stationnement, on entendait ta grand-mère crier en dedans. Puis finalement ta mère qui nous a devancés, qui est venue au secours de l’infirmière du CLSC. J’me souviens du salon, marqueterie et bibelots de mauvais goût.
J’me souviens avoir voulu rire tellement c’était ce que tu m’avais décrit.
Je ne me suis pas retenue. Et ça a charmé ta grand-mère. Elle s’est calmée.
L’après-midi s’est égrainé autour de la table de la cuisine, à boire quelque chose de chaud, dans les tasses de porcelaine de collection de ta grand-mère.
« Quand est-ce que vous allez vous marier? »
« C’est quoi la date? »
« As-tu déjà ton habit? »
« As-tu ce qu’il faut pour être un homme, montre-moi donc ça voir! »
Tout l’après-midi, elle revenait à notre mariage dont il n’avait jamais été question. L’Alzheimer lui donnait un sens du timing et du drôle, une audace et une candeur, que j’ai rarement revus. Ça nous faisait presque oublier, nous aussi.
Tout l’après-midi, tu te défendais don’ devant ta grand-mère et ta mère pour dire que j’étais juste une amie.
Personne n’était dupe. Surtout pas elles.
On était bien, je m’en souviens. Je ne peux en dire autant d’elle.
C’est injuste, tu trouves pas? Qu’on soit arrivé à se souvenir d’elle, et pas l’inverse?
Notre histoire se teinte du même oubli.
J’ai l’Alzheimer de l’amour.
J’ai besoin de quelque chose de plus que moi – un chapelet, une tasse, une photo – pour me rappeler qu’il y a déjà eu autre chose, au-delà de mes douleurs présentes.
J’ai peut-être juste le souvenir égoïste.
Le bonheur, on l’oublie. C’est toujours à recommencer, tout le temps.
Le bonheur y’est pas coriace.
Y nous lâche facilement.
Y’a cette rupture dans le fil du bonheur.
À force de vouloir avoir raison, de tirer la couverture chacun de notre bord, on a fini par oublier qu’on a déjà pu être bien ensemble, en dessous.
Y’a pas l’empreinte facile. Y colle mal à la mémoire.
Je sais pas pourquoi. Tu le sais-tu?
Le bonheur, on l’oublie. C’est toujours à recommencer, tout le temps.
Je recommence, tranquillement. Même si c’est pas facile de penser à toi, dans le meilleur.
J’voulais juste te dire ça. C’est pas grand-chose.
Mais ce souvenir-là, avec ta grand-mère-qui-oublie-toute, ça m’a éclairé la mémoire d’un peu de douceur.
J’espère que de ton bord du bonheur, tu es encore capable de penser à moi, un peu de la même manière.
Pour le meilleur – et pour le pire. Amen.