Qu’est-ce que tu fais dans la vie?
L’inévitable question, qui revient à chaque nouvelle rencontre.
Dans une société qui voue un culte à la profession, à la productivité et à l’accumulation de biens, on ne peut pas passer à côté.
Selon la réponse, notre curieux interlocuteur est soumis à un assortiment de représentations stéréotypées, à partir desquelles il se fera une idée globale de notre personnalité et de notre attitude.
Dis-moi comment tu gagnes cash, je te dirai qui tu es.
Si, pour quelques privilégiés, le travail représente un lieu d’épanouissement, il est aussi un lieu d’abrutissement notable pour plusieurs d’entre nous.
On y passe quarante heures par semaine, en rêvant de la fin de semaine ou de nos prochaines vacances.
Mais c’est bon. On tient le coup, on s’accroche. C’est ce qu’on attend de nous. Plus on travaille, mieux on est perçu. On fera ce qu’on aime plus tard.
Le congé arrive enfin. On commence à peine à se remettre de notre épuisement qu’il faut déjà se préparer à recommencer. Et ainsi de suite, jusqu’à nos soixante ans.
Ça, c’est si on se rend à soixante ans, et encore faut-il s’y rendre en bon état, car rien n’est acquis, surtout pas la santé.
Le travail, c’est la solution pour manger, pour avoir un toit sur la tête.
Et pour avoir un char, qui nous permet d’aller travailler.
Et pour avoir des loisirs, qui nous permettent de décrocher du boulot.
Et pour avoir des « bébelles » qui nous donnent une image respectable, à défaut d’avoir une job qui impressionne.
Et pour avoir l’air de réussir quand on se fait demander « Qu’est-ce que tu fais dans la vie? »
Mais dites-moi, qu’est-ce que ça dit de nous, en tant que société, lorsqu’on valorise le stress chronique, la consommation abusive d’antidépresseurs et les workaholiques insomniaques? En quoi est-ce un modèle sain et équilibré?
Parce que l’être humain est constamment en recherche d’équilibre. Or, vous êtes d’accord que dans un pareil contexte, on est loin de se donner une chance d’y arriver.
Considérant que le travail est une des principales sources d’épuisement et de dépression, est-ce qu’on pourrait, en tant qu’employeur, qu’employé, que collectivité, rendre le travail plus supportable?
Si oui, de quelles manières?
En tant que travailleur, si on changeait notre rapport à la consommation?
Avons-nous besoin d’autant de choses? Avons-nous besoin d’autant de pièces dans notre maison, d’autant de voitures dans notre allée? D’autant de chaînes télé? D’autant de possessions? Poser la question, c’est y répondre.
Repenser sa consommation intelligemment, c’est potentiellement réduire le temps que l’on passe au travail. La vie coûte moins cher, le temps est mieux utilisé.
En tant qu’employeur, est-ce vraiment nécessaire d’avoir ses employés sous les yeux sans arrêt? Ne serait-ce pas possible de leur éviter une heure de trafic le matin en leur permettant de travailler de la maison?
Pourquoi avoir des heures d’ouverture qui dépassent l’entendement, qui oblige les employés à se taper des quarts de travail de dix heures et plus?
Serait-ce si terrible d’accorder plus de congés sociaux, plus de congés de maladie?
L’entreprise, en ayant des employés heureux, ne serait-elle pas gagnante? N’épargnerait-elle pas en bout de ligne sur le coût du taux de roulement?
En tant que société, si on repensait notre rapport au travail?
Qu’est-ce qui fait qu’un boulot mérite autant d’éloges, qu’il est synonyme de réussite?
Qu’arriverait-il si on s’encourageait à travailler moins et à vivre plus?
Que pourrait-on en retirer collectivement si nous étions moins stressés, moins amers, mais surtout plus heureux?
Ce ne sont ici que quelques questionnements, mais je crois qu’une profonde réflexion s’impose. Et cette réflexion, elle commence d’abord en vous-même.
Pour ma part, ne me demandez pas ce que je fais dans la vie. Je vous répondrai simplement que j’ai des passions à assouvir, des livres à lire et des paysages à contempler.