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Ton premier soutien-gorge

J’t’ai laissée seule en salon, après t’avoir demandé de te déshabiller pis de me faire signe une fois en brassière. Une phrase que je répète combien de fois par jour?

C’est bon, je suis prête, que tu m’as dit.

La phrase a sonné derrière le rideau, comme elle sonne combien de fois par jour?

En entrant, j’ai compris la première impression que j’avais eue de toi : sous un manteau et un béret, l’hiver nous donne toujours des airs qui ne sont pas les nôtres. J’ai compris à ta cage thoracique large. Tes épaules carrées. Les poils abondant sur tes bras. Ta chemise mal ajustée encore sur tes épaules. Tes mains la tenaient fermée sur ta poitrine.

C’est ça qui t’a trahi. Ta gêne.

Les femmes montrent leurs poitrines. Ça vient facilement, avec le temps. Comme quelque chose de normal, avec les hommes, les enfants, les mammographies et tout le bataclan.

Mais pour toi, c’était pas une évidence.

C’est bon, je suis prête, que tu m’as dit. Maudite phrase insignifiante que tout le monde me dit.

Mais pour toi, c’était pas une évidence.

T’étais prête. Là, t’étais enfin prête.

Aujourd’hui, c’était un pas de plus vers ta nouvelle toi.

J’ai fait comme si de rien n’était et je t’ai tournée face au miroir. Tu allais avoir uniquement ton regard dans le miroir. Derrière toi, j’ai laissé glisser la chemise de tes épaules pour mieux voir ton soutien-gorge.

Un soutien-gorge de grand-mère. Mon unique jugement. Trop grand, défraîchi, plus tout à fait blanc. Tes seins s’y perdaient.

Puis les questions habituelles. Cerceaux ou non? Je sais pas. Quelle couleur? Je sais pas. Quel genre? Je sais pas.

Tu n’avais qu’une seule réponse : je sais pas.

– Vous savez celui-là, c’est mon seul. Il appartenait à mon ex.

J’ai eu un vertige. J’ai eu envie de te l’arracher, comme j’ai rarement eu envie d’arracher un soutien-gorge à une femme. Voyons! Comment est-ce que tu pouvais devenir une femme dans quelque chose d’aussi peu féminin, et à plus juste titre qui te rattachait à celui que tu avais été?

J’ai eu le vertige d’une première fois.

J’me souviens de mes colères de fille de 10 ans devant les petites bralettes de chez Simons et mon refus total d’aller les essayer en salon.

J’avais pas, à cette époque, le goût d’être une femme. De rester encore quelque temps une jeune fille – avec ce que ça compte d’avantages.

Là, j’avais devant moi une femme de 35 ans, neuve et fraîche, pas très loin de celle que j’étais à l’âge de dix ans, à la différence près qu’elle avait la volonté que je n’avais pas.

Puis un deuxième vertige : celui ne de pas gâcher cette première fois.

D’être à mon tour celle de qui on apprend à être une femme.

En te regardant, j’me suis demandé comment, moi, j’avais appris à être une femme.

Y’a juste dans la théâtrographie de Molière qu’y a une école des femmes.

Autrement, on doit l’apprendre sur le tas. Avec nos mères, nos sœurs, avec des livres pis des jouets. En écoutant la TV, pis en voyant les autres et en les imitant.

J’y ai jamais réfléchi : les choses sont comme ça.

Mais on apprend pas. Ni moi ni toi. C’était en nous, tout ça, depuis le départ, hein? Pis sans doute que plus tôt que moi, plus souvent que moi, tu l’as su.

J’ai juste eu la chance de pas avoir à prouver que je le savais. J’ai des cheveux longs, et pas de poils sur le torse. J’ai une voix haute et du vernis sur les ongles. Des seins.

Maintenant que tu en as, on est seulement à un vagin de distance d’être à peu près la même femme.

Mon corps fait toute la job pour moi. Y trahit tous les jours que je suis une fille.

Toi, ton corps te trahit tous les jours. Encore quelques fois par jour, il te dit que tu es une femme incomplète. Toi, t’as dû tout faire. Faire pousser tes cheveux et épiler le poil sur ton torse. Prendre des hormones pour moduler ta voix et te faire pousser les seins.

Le reste viendra en temps et lieu.

Tous les jours tu dois faire l’effort d’être celle que tu es vraiment. Je sais pas comment tu fais. Mais j’envie ta résilience en tout. J’aimerais être capable de porter avec autant de fierté et d’engouement mon statut de femme et mes désirs. J’fais pas l’effort ni d’être femme, ni moi-même. Me semble que j’m’écrase sous ce poids-là sans vouloir en comprendre la portée.

Et pourtant.

Quand je suis sortie de mon vertige, et que mon regard a croisé le tien dans le miroir, j’ai pensé à toi. Ton vertige cent fois plus gros que le mien. À ta chemise sur ton torse et au pas immense que c’est de se dévoiler pour une première fois à une inconnue. Parce que j’aurais pu être une salope et te traiter de tous les noms, être une conne qui tente même pas de comprendre. J’aurais pu tirer le rideau sur toi, refuser de te toucher et te traiter de tous les noms.

Ça aurait pu être n’importe qui, et encore aujourd’hui, je me demande quelle réaction j’aurais eue si j’avais su. Si j’avais su avant d’avoir été mise, naïvement, devant le fait accompli.

Ça fait un moment déjà que tu es venue dans mes salons.

J’repense souvent à ton départ pis aux larmes que tu avais dans les yeux en me disant merci.

À cette première fois qu’on a traversée à deux, tête haute.

T’es le genre de femme que je voudrais être. T’as le courage qui me manque pour être complètement femme, partout et en tout, dans ma vie.

J’aimerais avoir ta liberté de choix. La fraîcheur de cette puberté tardive. Tes airs, ta bonté et ta confiance dans la vie.

J’ai – trop – longtemps cru qu’il fallait un homme pour se définir comme femme. J’y ai longtemps cru jusqu’à toi. Jusqu’à ce qu’une femme me prouve qu’il en faut simplement une autre.

Pour ça, c’est à moi de te dire merci.

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