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« T’as juste à moins manger » et autres grossophobies quotidiennes

Je ne cacherai pas qu’écrire ce texte éveille chez moi la peur de faire un pas de travers. Je vais parler en toute sincérité, en espérant sensibiliser sans écorcher qui que ce soit au passage.

Petite mise en contexte : je suis une personne mince, presque maigre. Je n’ai jamais fait d’efforts pour l’être et je n’ai jamais eu de complexe lié à mon poids. Vous l’avez compris, je suis celle à qui on dit: « Tu me fais chier à t’empiffrer de frites pis à pas prendre une livre ». Mon poids, je m’en suis toujours foutu et ceux qui me connaissent depuis longtemps pourraient même affirmer qu’adolescente, j’ai déjà chialé parce que j’aurais bien aimé en prendre un peu.

On pourrait donc croire que je suis à des années-lumière de me sentir concernée par la grossophobie.

Après tout, quand je vais magasiner, je suis certaine de trouver des vêtements à ma taille, parce que toutes les marques du monde la produisent.

Quand je passe une entrevue d’embauche, en portant ces mêmes vêtements qui me font bien paraître, j’ai de bonnes chances d’être prise au sérieux. Ou alors quand j’ai une date, je suis capable de me sentir sexy dans ce que je porte et ça paraît dans ma confiance.

Quand je vais chez le médecin pour des maux de ventre, il ne me dit pas que je devrais d’abord commencer par perdre du poids. Sans hésiter, il me prescrit une échographie.

Quand je fais du jogging, personne ne me crie : « C’est ça, cours, la grosse ! »

Quand quelqu’un fait une blague sur les gros, je ne me sens pas visée.

Mais quand j’ai entendu parler de la grossophobie pour la première fois, j’ai écouté. Je voulais comprendre. J’ai fait ce que je sais faire de mieux : ouvrir la porte d’une librairie et en ressortir avec un livre qui saurait sans aucun doute m’expliquer le truc.

Ce jour-là, j’ai acheté La vie en gros, regard sur la société et le poids de Mickaël Bergeron.

Une lecture nécessaire

Ce qui m’a plu d’emblée, en plus du fait que l’auteur normalise les mots gros et grosse pour désigner les personnes concernées, c’est que le ton utilisé ne se veut aucunement accusateur ou moralisateur. Avec des témoignages très personnels et une sensibilité déroutante, Mickaël Bergeron montre à quel point la grossophobie est omniprésente, mais surtout terriblement blessante. C’est un système dans lequel on baigne. Mais elle est tellement banalisée qu’on ne se doute même pas qu’on y contribue pratiquement tous, sans se préoccuper de la souffrance qu’elle inflige.

Au cours de ma lecture, je me suis souvenue qu’une personne de mon entourage m’a dit un jour qu’une personne grosse ne pouvait espérer sortir avec une personne mince. Qu’elle devait s’intéresser à quelqu’un « comme elle ». Cette même personne, j’en suis certaine, n’aurait jamais dit : « Une personne noire ne peut espérer sortir qu’avec une personne noire ».

Alors qu’on dénonce de plus en plus le racisme, le sexisme et l’homophobie, la grossophobie demeure socialement acceptée. Si vous en doutez, allez voir les commentaires liés au retrait de la récente pub de Maxi, dans laquelle Martin Matte portait un fatsuit. Beaucoup de gens ont critiqué le fait que la pub soit retirée, alors qu’elle contribuait à entretenir un mythe tenace : associer la grosseur à un comportement outremangeur, donc associer le fait d’être gros à quelque chose de soi-disant contrôlable. « Si tu es gros, c’est de ta faute, tu n’as qu’à moins manger ».

Non seulement ce préjugé est d’une brutalité sans nom pour les personnes grosses, mais il encourage également les problèmes de santé mentale et les troubles alimentaires. En plus de banaliser la discrimination, il propage la peur d’engraisser.

C’est d’ailleurs assez préoccupant le nombre de blagues et de posts sur les réseaux sociaux qui mettent en lien le confinement et la prise de poids qui doit forcément en découler.

Tout comme les couvertures des magazines, où il suffit d’y jeter un œil rapide pour apprendre que telle vedette a perdu ou pris du poids. Ces mêmes magazines où l’on nous présente Ashley Graham comme étant un mannequin taille plus, alors qu’elle a des formes tout à fait dans la moyenne.

Ce n’est pas étonnant que des femmes venant à peine d’accoucher se mettent à détester le ventre qui a conçu et protégé leur bébé.

Et je ne suis même plus surprise que la conversation aboutisse inévitablement sur le sujet de l’apparence physique quand je suis avec mes copines.

Parce que partout, on nous répète que la pire chose qui pourrait nous arriver, c’est d’être gros ou grosse. Et c’est justement ce que Mickaël Bergeron exprime dans son livre :

« Tous les jours, ou presque, un commentaire, un geste ou une norme quelconque viennent rappeler aux personnes grosses qu’elles sont des parias, des êtres indésirables et problématiques. »

Se regarder dans le miroir

Si on m’avait directement demandé si je suis grossophobe, j’aurais vivement répondu que non. J’aurais dit que je ne suis pas méchante avec les personnes grosses, je n’ai pas de haine envers eux simplement parce qu’ils sont gros. Mais il ne s’agit pas que de cela. Ce n’est pas parce que je ne suis pas de celles qui insultent ouvertement les gros que je n’ai pas moi-même des comportements qui encouragent la grossophobie. Cette lecture m’a permis de comprendre l’impact de mes pensées et comportements associés à l’apparence physique. Et je n’ai pas du tout envie de contribuer à ce climat malsain qui démolit des confiances. Si tout le monde fait un pas vers la compréhension en se documentant, en dénonçant les comportements grossophobes et surtout en se regardant agir, nous pourrons nous libérer de l’emprise néfaste de l’image corporelle sur nos vies.

Pour vous procurer La vie en gros, regard sur la société et le poids de Mickaël Bergeron, c’est par ici.

Bonne lecture et surtout, bonne réflexion!

Photo: Sarah B Delisle

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