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Ta petite sœur

J’avais quelques heures quand je t’ai rencontré; t’étais tout émerveillé de me voir arriver, pis moi, j’ai probablement serré ton petit doigt dans mes encore plus petits doigts : poignée de mains officielle, pourtant inconsciente. Je ne savais pas dans quoi je m’embarquais en venant au monde, mais j’ai foncé tête première même à ça. On vit ensemble depuis ce jour-là, alliés imposés par le hasard de la naissance. T’as vu mes premiers rires, mes premiers pas. Tu m’as montré à jouer des tours, t’étais pas très bon par contre. T’es le premier avec qui je me suis chicané, celui avec qui c’est arrivé le plus souvent aussi.

Je voulais être aussi grande que toi. Tu voulais que je reste petite. La réalité d’aujourd’hui se retrouve à mi-chemin entre ce qu’on voulait chacun : on est arrivés à un âge où l’âge ne veut plus rien dire, mais quand je te vois accomplir des choses, j’ai toujours mes yeux de petite sœur.

Tu te souviens des moments où tu me faisais danser dans ma petite robe à fraises? Je ne sais pas pourquoi, mais on a arrêté de danser un jour et on s’est munis de fleurets. Un combat d’escrime sans grande relâche : tu piques, je réplique, je pique, tu repiques… l’un de nous deux sort de ses limites, l’autre gagne le point. De partenaires à adversaires.

On aurait été bien plus utile à l’autre si on s’était vus autrement, si j’avais compris, si t’avais compris. Compris quoi? Compris l’un et l’autre. On se serait compris si nos émotions ne nous avaient pas aveuglés, si nos mots ne s’étaient pas noyés dans nos émotions avant même d’être entendus, si on avait eu l’audace d’une honnêteté différente, moins méchante.

Maintenant, pour la première fois de ma vie, on n’habitera plus sous le même toit. J’en suis impatiente parce que ça voudra peut-être dire qu’on pourra se rencontrer une deuxième fois, une première dans nos vies d’adultes, et que je pourrai te serrer la main consciemment. On pourra mettre les fleurets de côté, les laisser prendre la poussière. Je n’ai plus de robe à fraises ni de grosses joues, mais j’ai les même petits cheveux courts, tu devrais me reconnaître. Si jamais l’envie t’en prend, je suis toujours partante pour une danse.

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