Tous les matins, je m’assois devant la grande fenêtre de mon appartement, je regarde la ville se réveiller tranquillement et je lis mes nouvelles, question de faire mon devoir de citoyenne, un peu. Je vais l’avouer, souvent, quand ça explose quelque part, je lis les grandes lignes, les titres, le nombre de morts, et si je ne suis pas particulièrement de bonne humeur, je passe à la page suivante. Il y a des matins où le malheur est trop loin pour m’atteindre réellement. Ce matin n’était pas un de ceux-là, parce que les titres et le mot qui figure sur la pancarte de signalisation juste sous ma fenêtre étaient le même : chemin Sainte-Foy.
Voilà, ça c’est passé chez moi.
Sainte-Foy, c’est ironique quand même. « Foy », la foi en quoi? En l’Humanité? En l’espoir qu’il existe encore des sentiments plus forts que la peur, que la haine? Je ne sais pas, je ne sais plus. Tout ce que je sais, c’est que c’est différent quand ça se passe sur ta rue, dans ta cour, quand c’est ton voisin, quand ça aurait pu être un ami.
Au début, je ne voulais pas m’approprier ce drame, parce que je n’en souffre pas, du moins pas directement. Et puis, je me suis dit que ce drame appartient à tout le monde, à tous les résidents du chemin Sainte-Foy. À tous les Québécois, à toute l’Humanité. Un drame humain, sur des humains par des humains : elle est là, la triste réalité.
Depuis hier, on lit partout dans les nouvelles que l’attentat a ciblé un centre religieux musulman, on parle du pays d’origine des agresseurs, de la religion des gens attaqués, mais c’est en divisant ainsi qu’on crée des fossés au cœur de notre peuple. Disons-le, c’est arrivé à des Québécois, comme vous, comme moi. On est pratiquement tous fils ou filles d’immigrants. Quelqu’un, quelque part dans ta lignée, est venu s’installer ici, emmenant avec lui ses coutumes, ses croyances et en forgeant d’autres au fil du temps. Ces gens sont morts hier avant de voir assez d’années passer pour qu’ils ne soient plus considérés comme « autre ». Une société, c’est un mélange de cultures et de gens qui se rassemblent et de coutumes qui s’intègrent l’une à l’autre au fil des générations.
C’est ça la tragédie de tout ça. Tout ce temps qui manquera.
Ce matin, en m’en venant à l’école, j’ai croisé une dame sur le chemin Sainte-Foy qui ne me ressemblait pas. Il y avait trop de neige sur le trottoir, ça ne passait pas. Elle m’a laissé passé, on s’est souri. C’est con, mais je pense que toutes les deux, on voulait se faire du bien, juste en se souriant comme ça, juste en s’offrant ce petit moment de gentillesse. Ça m’a donné espoir, juste un peu, juste ce qu’il fallait. Je me suis dit qu’au moins, il reste ça. La bonté. Il faut la puiser dans ces petits moments quand le laid prend trop de place, quand on se sent impuissant, quand ça arrive chez nous.
Tant qu’il restera de la bonté, j’essaierai de garder cette sainte foi en l’autre, l’autre qui, dans le fond, est moi.
Par Marie-Christine Chartier
Marie-Ève Joseph
Crédit photo de couverture: Filière M