Je ne sais pas pour les autres, mais moi, depuis mes 21 ans, j’ai trouve cela de plus en plus difficile de vieillir. Et attention, je ne parle pas ici d’appréhensions superficielles par rapport à mon apparence physique. Je ne redoute pas les cheveux blancs et j’avoue même que j’aime les discrètes pattes d’oies qui se forment furtivement au coin de mes yeux. Elles sont pour moi une empreinte, un doux rappel de mes rires et mes joies passées. Non, il s’agit plutôt d’un malaise face à l’avenir, face aux attentes de la société envers moi.
Depuis notre enfance, on nous montre un certain modèle à atteindre, un standard de réussite si on veut. Bien sûr, il y a des milliers de chemins pour y parvenir, mais notre société occidentale moderne tend à valoriser un modèle pré-établi. Dans chacune des sphères de notre vie, une liste d’accomplissements flotte au-dessus de nous avec des petites cases à cocher. J’ai toujours eu l’impression que la communauté observe les jeunes adultes avec attention, attendant patiemment qu’ils remplissent leur mandat, qu’ils cochent les cases.
Faire des études : check
Se mettre en couple : check
Trouver un emploi stable : check
Acheter une maison : check
Fonder une famille : check
Les prochaines étapes sont au choix, selon des préférences personnelles. Acheter un chalet ou un véhicule récréatif, agrandir la famille, s’appliquer pour des promotions au travail, etc. Cette impression a probablement été renforcée, pour moi, par la collectivité dans laquelle j’ai grandi. Le modèle que j’ai observé en vieillissant, celui que mes parents ont suivi, que les parents de mes amis ont suivi, que leur parents ont suivi aussi avant eux, c’est de finir sa scolarité et trouver un emploi payant souvent dans les usines de la région natale. Puis, quelque part en cours de route, trouver l’amour, se marier et fonder une famille. Le tout à réaliser avant d’atteindre la trentaine, bien entendu. On transmet alors à la génération suivante. Ce modèle est candide, digne et tout à fait honorable. Cependant, il ne me convient pas. J’ai l’impression que c’est un moule rigide qui m’écrase et m’étouffe.
Ce qui me fait peur en vieillissant, encore plus maintenant que j’ai entamé la seconde moitié de la vingtaine, c’est de sentir la pression de ce modèle sur mes épaules. Cette ombre qui plane au-dessus de ma tête, attendant patiemment que je coche les fameuses cases.
Ma graduation universitaire arrive à grands pas, je devrais donc pouvoir cocher la première case bientôt. Mais bien sincèrement, c’est la seule que j’ai envie de raturer. Selon la société, je vais échouer, et je n’aime pas cette idée. Je devrais me foutre de l’approbation de cette société et simplement souhaiter atteindre mes propres idéaux personnels. En vérité, selon mes objectifs, je réussis ma vie haut la main. Je voyage dès que j’en ai l’occasion, je vais être médecin vétérinaire bientôt, ma maisonnée est comblée d’amour par mes petits quadrupèdes, j’ai la chance d’avoir une famille et des amis merveilleux, des racines fortes mais aucune attache permanente. C’est l’idée que je me fais de la réussite et il ne me reste plus qu’à me libérer du regard de la société, me libérer de ce besoin de performer, me libérer de cette peur de l’échec et du jugement pour pouvoir enfin pleinement en profiter.
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