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Se battre contre des moulins à vent : la rivalité féminine

« Arrête de la regarder, Delphine, elle va penser qu’elle a gagné. », me chuchote à l’oreille ma cousine Maude. « Pis c’est toi qui as gagné, pas elle. C’est avec toi qu’Elliott se marie. Pas avec elle. »

Je n’avais pas prévu croiser Jeanne, ce soir. Je ne prévois jamais ça, d’ailleurs, des malaises. Ça a juste adonné qu’on mange au même restaurant. J’y suis pour rien, c’est vendredi soir et il y a seulement un bon Général Tao en ville. Malgré tout, je ne peux pas m’empêcher de la regarder, comparer nos looks, nos mimiques. Je l’imagine dans les bras de mon fiancé, je me demande s’il la trouvait plus drôle, plus cultivée, plus excitante. J’essaie de remonter mon estime en me trouvant des qualités qu’elle n’a pas, tout en sachant très bien que je ne suis pas meilleure qu’elle. Le plus ridicule, c’est qu’il me semble impossible de ne pas me rabaisser sans avoir à la rabaisser. Je suis risible. Je fais exactement ce que le patriarcat attend de moi en créant une rivalité pour un homme ; je m’en prends à mes sœurs. Je ne devrais pas avoir à penser à qui est celle dont la vie vaut le plus, celle qui est la plus heureuse. On est aussi bonne, forte, magnifique l’une que l’autre. On n’a juste pas besoin de la même chose. Je ne fouille pas dans ses poubelles et elle n’a pas perdu de trésor. On a juste emprunté le même chemin, à différents moments, et ça nous a menées à différents endroits.

Pis ça fait juste nous rappeler qu’on a des points communs. Avec du recul, je ne me souviens pas d’une seule fille à qui j’ai porté rancune pour une histoire de garçon avec qui je ne suis pas amie maintenant. Trop souvent, mes sentiments m’ont laissée me battre contre des moulins à vent. Mais on sera jamais gagnante tant qu’on n’aura pas identifié notre ennemie correctement. Il faut arrêter de se battre entre nous et commencer à se battre ensemble. Faut se rallier, se pardonner et se comprendre. Faut se battre contre ceux qui nous font croire qu’il y en a une de nous deux qui est meilleure que l’autre.

« T’as raison. Je devrais arrêter, mais pas pour qu’elle ne pense pas qu’elle a gagné. Je devrais arrêter pour moi, sinon tout le monde y perd. »

Crédit de la photo de couverture : Nicolas Romero Escalada

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