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C’est rare que j’aime les solos de danse contemporaine. Je préfère de loin les duos ou les effets de groupe. Peut-être est-ce une déformation professionnelle ou un goût personnel. Je ne sais pas. Il m’arrive d’apprécier la mise en scène d’un seul corps, mais aimer ça, presque jamais. J’analyse, je pense, je zone-out, je souffre, je lâche prise, je questionne, je compatis, mais je suis un public qui donne difficilement son affection. Je vous dis ça de même…
Mercredi soir, la Rotonde lançait sa saison 2018-2019, qui offrira 12 spectacles célébrant la diversité et la vitalité de la scène contemporaine en danse. Pour ouvrir le bal, c’était l’œuvre Running Piece, de la compagnie montréalaise Grand Poney, chorégraphiée par Jacques Poulin-Denis et interprété par Fabien Piché.
Un homme, un tapis roulant, 60 minutes.
Beaucoup de sueur. Une expérience. Un solo.
J’ai aimé ça.
Un soliste
Fabien. Ce fabuleux interprète de Québec. Si vous n’avez pas encore saisi l’opportunité de le voir bouger, c’est votre chance. Autrement, vous savez de quoi je parle. Pour sa capacité enivrante à transformer un simple port de bras en mouvement sensible et pour la virtuosité avec laquelle il évolue sur scène, la façon dont son interprétation nous transporte et l’unicité de son regard.
Son public
L’entrée en salle se fait en mouvement. La courroie cyclique est déjà en marche, Fabien aussi. Cela nous place avec brio face à la notion du temps et à l’importance et la précarité de notre rôle de spectateur. Sur scène il y a jonglerie entre la marche, la course et la danse avec homogénéité, le public ne peut pas s’accoter sur sa chaise. Les secondes s’écoulent rapidement dans un sprint et on réalise tous que regarder quelqu’un courir, c’est exigeant. Dans le cas où l’interprète court sa vie, dans tous les sens du terme, ce n’est pas sans effort. Le public aussi s’essouffle, ne sait plus que faire de ses bras, s’étire, a l’impression d’avoir un peu plus chaud que d’habitude.
Tu devrais courir voir le show si…
Tu es un coureur. Tu es un danseur. Tu es un être humain.
Je suggère cette pièce aux amateurs de mouvement de toute sorte. Si la fibre athlétique vous interpelle, si l’art vous parle. Je tiens aussi à mentionner qu’il s’agit d’une introduction fort accessible à cet art, advenant le cas ou ceci s’avérait être votre premier spectacle de danse contemporaine. Et donc, il est possible d’y aller accompagné de son beau-frère ou de sa meilleure amie sans préalable requis. Fabuleux, n’est-ce pas? Tous en ressortiront avec un sentiment d’appartenance à la course. Après tout, on court tous un peu, beaucoup.
Les lumières ont fermé et je me suis levée rapidement pour ovationner le génie de l’œuvre et la générosité de l’interprète. J’ai même crié à quelque reprise « Wooooooooo! », tellement j’étais emballée. J’ai aimé ça, faut croire. J’ai quitté la salle pensive, en marchant lentement. Un pas à la fois. Je me suis dit que je ne voulais plus avoir à courir ma vie. C’est gros quand même. J’avais cette impression de second souffle qu’on atteint quand on franchit un mur pendant l’entraînement. J’avais envie de tester mes capacités sur un tapis roulant. Envie de courir autrement.
Photo de Fabien Piché par Dominique T. Skoltz