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Réussir sa vie

Réussir sa vie. Cette aspiration unanime qui nous unit sans quoi le regret nous hante jusqu’à notre dernier souffle. Aussi superficiel que cela peut paraître, je réalise que la dite réussite de notre vie est davantage évaluée par le monde extérieur, par des standards protocolaires que par l’individu lui-même qui, en fait, devrait être l’unique évaluateur.

J’ai compris de bonne heure que la réussite, dans le monde où l’on vit,  est monnayable. Que simuler la caissière à l’épicerie dans le cadre d’un jeu d’enfant n’est qu’une manière efficace d’apprendre à compter, tandis que peu de parents souhaitent entendre que leur progéniture aspire faire carrière dans ce contexte. Pas assez ambitieux? Trop facile? Bas de gamme? Pourtant, passer sa journée à distribuer des sourires dans une ambiance agitée et dynamique ne me semble vraiment pas le pire des quotidiens. Travailler cloîtré entre quatre murs beiges, le nez dans un fichier Excel, dans un tailleur qui ne respire pas, pour moi, relèverait tout droit du cauchemar… même si mon salaire touchait les six chiffres à la fin de l’année.

Ce constat tout droit sorti de mes pensées existentielles n’enlève rien au fait que je trouve l’éducation précieuse, et je la valorise grandement; c’est une valeur encodée en moi par mes parents sans qui j’aurais sans doute opté pour apprendre de manière autodidacte plutôt que de faire des études supérieures traditionnelles, qui m’ont souvent imprégnée de frustrations et de lassitude, même si j’avais de la facilité. Même avec un baccalauréat en poche, je ne me gêne pas de dire que l’Université marchandise le savoir, encourage les creux sociaux, enfle la tête de plusieurs et discrimine malgré elle. Tout droit sortie du modèle capitaliste, elle a ses intérêts à cœur avant tout… un peu comme une épicerie, finalement. Don’t get me wrong, l’Université apporte plein de bonnes choses aussi, mais ça, on en parle déjà en masse.

J’y arrive, à mon « sous-métier ». Dans notre société qui hiérarchise les métiers comme gage d’intelligence, d’accomplissement et de réussite, le facteur « professionnel » rime en théorie avec réussir sa vie. J’ai vite constaté, depuis mon entrée officielle dans le monde adulte, que dans la pratique, l’indice de bonheur qui en découle, lui, se calcule tout autrement.

J’ai fait le choix de rester dans l’univers de la restauration, domaine qui m’a hébergée durant mes études, et qui continuera de le faire… Parce que j’adore ça, imaginez-vous donc.  « T’as fait un BAC pour ça!? »… « En Anthropologie? Ah ok, je comprends, le genre de domaine où personne se place »… « Tes parents en pensent quoi?»… « Ah! Tu pourrais ouvrir ton propre restaurant. »

PAUSE. Mon choix d’être barista dans un café de quartier où vont et viennent tous types de gens ne me gêne pas. Avant, je sentais le besoin de parler de mes activités professionnelles plus intellectuelles que je fais à la pige pour prouver que j’étais plus qu’une simple serveuse de breuvages, pour éviter qu’on me trouve peu ambitieuse. Le fait est que quiconque se définissant uniquement par son emploi, que ce soit vidangeur ou chirurgien cardiaque, je trouve ça triste. L’humain est bien plus que son métier, même si la cage professionnelle peut sembler sécurisante; un parapluie anti-jugement, une pancarte lumineuse qui flashe « je suis utile à la société ».

De la clientèle que j’affectionne à certains de mes amis, on me demande encore ce que je veux faire, ou si je fais « juste ça ». Si je commence à être moins mêlée quant à ce que je veux faire. Que j’ai l’air assez brillante pour « aller plus loin ». Parmi ces gens, plusieurs semblent malheureux dans leur emploi notoire mais se convainquent qu’ils font ce qu’il est normal de faire; persister jusqu’au jour où la routine et les obligations deviendront une partie de plaisir. Et ainsi commence le marathon jusqu’à la retraite…

Accompagner les gens dans le rite sacré qu’est la consommation du café matinal, leur offrir un sourire sincère et accueillant, me laisser envoûter par l’odeur de grains fraîchement moulus au son d’une musique énergisante, concevoir chaque café avec un souci de perfection, sachant qu’un cœur sur un latté ou de la cannelle fraîchement râpée peuvent fournir suffisamment de chaleur chez une personne pour que son réveil soit moins pénible, c’est développer des affinités avec la merveilleuse diversité de gens du quartier Saint-Sauveur, qui savent que parmi toutes les incertitudes dans la vie, leur café, lui, sera toujours une valeur sûre s’il viennent me voir.

Je ne sais pas si je réussi ma vie, mais j’ai, du moins, la certitude de vivre.

Et toi, fais-tu tes choix en fonction de ton bonheur?

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