Que ce soit au café du coin ou au dépanneur d’en face, prenez une seconde cette fin de semaine pour consulter Le Devoir du samedi. Attardez-vous aux gros titres parce que c’est toujours bien de se garder informé, et filez ensuite jusqu’à la section Lire. Là, depuis un peu plus d’un mois, se trouve une petite anomalie, comme une marguerite dans une craque de trottoir. Quelque chose de nouveau, d’inhabituel, qu’on ne s’attendait pas à croiser là, en buvant notre café ou en attendant en file que notre voisine fasse valider ses dix-huit billets de loto. Là, devant vous, se trouve un poème de Jean-Christophe Réhel. Et vous le lirez en vous disant « Pourquoi pas? Après tout, la fille de La avait l’air ben excitée de ça », pis vous vous rendrez compte que, ben maudine, c’est bon, dans le fond, la poésie.
Cette initiative du Devoir de publier des poèmes chaque semaine rend la poésie accessible à monsieur et madame Tout-le-Monde. Quelque chose dans cette idée me rappelle les romans-feuilletons publiés dans les journaux du 19e siècle. Les lecteurs et lectrices découvraient ainsi les histoires de Balzac et de Dumas étalées sur plusieurs mois. Ils ouvraient le journal chaque fois avec émotions, curieux.ses de connaître la suite. C’est un peu pareil avec les Poèmes à Réhel, alors qu’on attend chaque samedi de savoir ce qui a capté son attention cette semaine.
Jean-Christophe Réhel a le don de rendre le quotidien poétique. L’hiver, la Saint-Valentin, les petites et grandes angoisses, l’épicerie, les tuques avec un ours dessus, tout devient source d’inspiration. Il ébranle le préjugé de la poésie comme un genre à l’eau de rose, mélancolique et larmoyant. Au contraire, il montre que c’est une façon de mettre un peu de couleur dans la vie de tous les jours et nous rappelle qu’il y a toujours un peu de musique et de beauté dans ce qu’il y a de plus banal.
Merci à toi, le poète du journal, de remettre la poésie au goût du jour. De nous rappeler que ce n’est pas quelque chose de lointain et d’éventé, mais que c’est toujours bien vivant et québécois. Que c’est aussi simple et compliqué que de mettre un kaléidoscope sur le monde, puis le regarder danser.
Extraits
Forts comme des déneigeuses1
Je suis dans un parc sur le bord
du fleuve
Mon père est à côté de moi
Je suis anxieux
Je lui dis que je ne sais pas
quoi écrire dans Le Devoir
Le travail on en parle
L’amour attend minute
L’amour on le vit entre
Deux rires
Deux conseils
Deux coups de vent
Mon père a vieilli
Il a maigri de la face
J’ai envie de lui acheter
des hot-dogs
À trois secondes de Paris2
Près de chez nous
Le fleuve commence à geler
C’est beau à voir
Les berges ressemblent
à des ampoules
De la poussière d’ampoules
Des ampoules brisées
Des ampoules que je suis capable d’allumer le matin
Parce que l’interrupteur du fleuve est dans mon salon
Des fois je shake les lumières du fleuve
Des fois je me trouve drôle
Est-ce que c’est mal?
Crédit photo : Roman Kraft, Unsplash
Références :