Je me rappelle encore ces chaises de plastiques fissurées, cette chaleur accablante et nos yeux faisant de multiples allers-retours en direction de l’horloge surplombant le tableau noir. La dernière année du secondaire, celle où l’on passe plus de temps à rêver à la fin qu’à réaliser qu’il s’agit du dernier sprint de notre vie où l’on n’a aucune décision à prendre. Et c’est justement à ça que nous avions hâte : choisir, enfin. Parce qu’après cinq ans passés à avoir trop d’énergie pour le cadre imposé et trop en tête pour se complaire dans les révisions, on a eu assez de temps pour saisir ce qu’on voulait, ce qu’on valait et surtout ce qu’on souhaitait se voir accomplir plus tard.
« Plus tard, j’aimerais… »
Combien de fois on l’a dit tout haut, pensé, ressassé ! À cette époque, ce qu’on voulait faire ne se limitait pas qu’à un choix de carrière. Cette question-là était même assez énervante et semblait être à des années-lumière de la réalité. On voulait juste imaginer notre monde une fois qu’il serait tracé par nos propres pas, volontaires et engagés, cette fois. C’est peut-être quand on n’est pratiquement libre de rien qu’on arrive à voir clair dans ce qu’on voudrait faire, une fois en mesure de choisir. Et c’est si beau, si vivant… Puis, les mois ont passé et on a dû prendre une vraie décision, celle de la prochaine direction à prendre, des plus déterminantes, nous disait-on. C’est peut-être à ce moment-ci qu’on s’est égaré et qu’on a confondu « choisir » avec « fais ce que doit ». Alors, on s’est retrouvé une nouvelle fois à des années-lumière des souhaits que nous avions inscrits sous notre portrait, diplôme à la main, dans cet album de finissants. Ça ne fait rien. On a encore le temps. Puis, une autre décision et encore une autre. On les a prises avec droiture, discernement, parce que c’est ce que fait un adulte accompli. Parfois, cet adulte pense à ce dont rêvait l’adolescent.e regardant l’horloge, il ou elle y rêve encore, au fond. Plus tard, on aura le temps de réaliser tout ça.
Puis, on s’est mis à regarder le plus tard des autres qui semblent y arriver. Et on a commencé à confondre même nos rêves avec « ce que doit ». Ce qui semble être le meilleur des rêves, des choix, de la liberté. Certaines destinations, voyages et mêmes différentes façons d’organiser sa vie sociale, familiale et ses ambitions ont écrasé ce qu’on souhaitait vraiment au fond de soi, parce que tout ça semblait être ce qui avait le plus de sens, ce qui serait le plus approuvé. Alors, on s’est mis à croire au destin, cette façon simpliste de mettre notre vie entre les mains de quelqu’un d’autre. Ça arrivera quand ça arrivera. Plus tard, sûrement. Au bon moment. Les opportunités se présenteront d’elles-mêmes, s’est-on répété. Puis, le jour arrive où l’on réalise que le temps a passé et qu’on se retrouve exactement au moment de notre vie où l’on s’est maintes fois visualisé et idéalisé à l’adolescence. On est le grand dans « quand je serai grand ». On est le « plus tard ».
C’est là qu’on saisit que personne d’autre que nous-mêmes ne créera les opportunités et ne prendra les initiatives à notre place pour réaliser tous ces souhaits dont nous nous reconnaissions le mérite des années auparavant. Ils ont bien sûr évolué et peut-être même carrément changé avec les années ; ils se sont adaptés à une nouvelle réalité, à une maturité. Mais ils sont encore là et on ne peut plus se donner le droit de les repousser. Plus tard c’est maintenant : voilà ce qui nous secoue. C’est maintenant, alors qu’on se retrouve face à cette fougue, cette volonté et cette valeur que nous donnait aveuglément l’adolescent.e qu’on était. Parce qu’il ou elle avait tellement raison, je pense que nous devons le lui prouver sans plus attendre.
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