C’était le jeudi de la première semaine de février, il y a un an, pile-poil. La Saint-Valentin s’en venait et mon célibat avait envie de me déprimer, j’ai donc laissé une de mes amies m’organiser une blind date la soirée de la St-Valentin. Déjà, je suis sûre que tu te dis : « Oh boy, quelle mauvaise idée ». Tu as bien raison, Crépu, c’était la pire des idées.
C’était l’ami du cousin de la fille qui était avec était elle dans son cours de philo au cégep, tu vois le genre. J’avais parlé un peu au gars, il me semblait sain d’esprit et sa photo de profil était bonne. On avait convenu qu’il viendrait me chercher chez moi pour m’amener souper. À première vue, ça peut être cute comme set up, sauf que c’est plus difficile de se sauver quand on n’a pas notre char. Puis, un souper, quand tu ne connais pas le dude, ça peut être interminable.
Il est arrivé à l’heure (« Au moins, il est ponctuel », me suis-je dit). Je suis entrée dans la voiture, habitée par un certain malaise. Salut, salut, bec, bec, ça va, oui toi, oui, oui…
On se stationne, il m’ouvre la porte pour entrer au resto (y’a un peu d’espoir). Je dépose mon sac à main sur la table, j’enlève mon manteau, on se fait un petit sourire parce qu’on sait pas quoi se dire, j’installe mon manteau sur ma chaise et quand je me retourne… Horreur! Il portait un chandail Parasuco, t’sais blanc avec un lettrage genre argenté? Ça existe encore ça? Calvaire.
Je garde mon calme, je commande un verre. Respire, respire, il est peut-être pas si pire que ça… Faut pas se fier aux apparences, il paraît.
On commence à parler de tout et de rien puis, à un moment donné, de façon random, il me sort :
– Fait que comme ça, en secondaire 5, t’as fait un voyage d’aide humanitaire au Pérou?
– Euh oui, comment tu sais ça?
– Ah, j’ai checké ton profil Facebook pas mal avant de te voir, là, j’voulais voir si t’étais femme, haha.
Ark. Si j’étais femme... Pis à part ça, t’avoues jamais directement à quelqu’un quand tu stalk son Facebook, surtout pas si tu remontes jusqu’en secondaire 5, abruti. Mais ça ne finit pas là, il continue avec le Pérou :
– Les plages sont-tu belles au Pérou?
– Les plages? Euh, c’est pas nécessairement l’attraction principale de ce pays-là…
– Ah, moi j’aime ça être à plage. Pis chu comme toé, j’aime vraiment ça voyager. Chaque année, moi pi les boys on va à Cuba dans un tout inclus, la bouffe est pas terrible, mais l’alcool est gratuit fait que on brosse en tabarnak!
– … Cool.
À ce moment-là, je réalise qu’on vient juste de commander la bouffe pis que j’aurais pu me contenter de passer la St-Valentin en date avec Netflix, deux bouteilles de vin rouge pis un gâteau McCain, pis ça aurait été ben correct.
J’essaie comme je peux d’apporter la conversation à un niveau intéressant, mais rien à faire. Notre bouffe arrive. Sa façon de manger me coupe vite l’appétit, il sape et il mastique son steak comme s’il n’y avait pas de lendemain. Ayoye. Sauvez-moi, quelqu’un. Entre deux bouchées et beaucoup trop de salive il me relance :
– En tous cas, on va sûrement finir en couple, hein? Une date à la St-Valentin, il paraît que ça porte chance.
Si c’est ça la chance, je suis aussi bien de mettre fin à mes jours tout de suite.
– Pour les bébés, par exemple, moi j’aime mieux attendre un peu, là… Mais mon cousin P-M vient d’en avoir un, y’est cute en maudit! Mais le maudit chien sale, il l’a appelé Hayden [prononcé Hé-deune] pis c’est genre mon nom préféré. Fait que j’me me disais peut-être Jaden [prononcé D’jé-deune]. Qu’est-ce que t’en penses?
– Qu’est-ce que je pense de quoi exactement?
– Jaden, aimes-tu ça comme nom?
– Boff, moi je préfère les prénoms québécois en général.
– C’est québécois Jaden.
– Ben, en tous cas, les prénoms français.
Sans trop savoir comment, j’arrive à tenir jusqu’à la fin du souper.
Il me reconduit chez moi :
– Bon, merci pour le souper…
– Da rien, c’tait l’fun en crisse. Moi pis les boys on va à pêche sur glace la semaine prochaine, si ça te tente.
– Ah c’est plate, je travaille TOUTE la fin de semaine.
Là, je me dépêche de me détacher pour sacrer mon camp de là, mais il me pogne la face pis il m’embrasse, toi chose! Pis quand je dis « embrasser », je dirais plutôt qu’il m’a foutu sa langue à l’intérieur de la bouche en la tournant trois fois avant que je puisse me dégager et courir jusqu’à ma porte sans JAMAIS me retourner.
Alors voilà, une histoire atroce de date arrangée.