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Peut-être que l’enfer est pavé de bonnes intentions – Par Noémi Otis

Je marchais sur la rue St-Jean, mains débordantes de sacs d’épicerie remplis à ras bord, quand j’ai aperçu une silhouette qui se dandinait drôlement. Après mûres observations, la silhouette est devenue un jeune homme d’allure junk qui boitait. Il sautelait sur un pied, plutôt. Autour de moi, tout le monde avait l’air assez mal à l’aise. Les gens semblaient croire qu’en l’ignorant, il ne boiterait plus. À croire qu’ils étaient tous fervents de physique quantique.

Donc, avec un air un peu hébété, je me suis demandé quoi faire. D’un côté, j’avais les mains pleines de lourds sacs, ce qui ne me permettait pas trop de l’aider. Sans compter que son look me rendait plus ou moins méfiante. De l’autre, je voyais sa difficulté à marcher et je pouvais au moins m’assurer qu’il allait bien, ou même lui servir de béquille un instant.

Sans crier gare, ma bouche a attaqué :

– T’as besoin d’aide?, ont dit mes lèvres, sous l’effet du pilote automatique qu’on nomme couramment impulsivité.

– Euh, moi? Merci, mais non merci, je suis pratiquement rendu.

– Oh, euh, d’acc!

– Mais considère que t’as fait ta bonne action de la journée! Maintenant, tu peux faire le mal.

Mettons ici au clair que c’est la réponse la plus cool que j’ai jamais reçue.

– C’est ce que je comptais faire!

– Comme on dit, tant qu’à faire le mal, fais-le bien!

Et c’est ainsi que s’est terminée notre brève conversation. Aussi futile peut-elle paraître, la conversation m’a quelque peu ébranlée. Comme presque chaque fois où j’entame un petit séjour vers la lune, j’ai trébuché sur ses derniers mots. Ils ont laissé un drôle de goût dans ma bouche. Comme une salive pâteuse sur ma langue. Ils me revenaient sans cesse en tête, comme si je devais y déchiffrer un message qui donnerait un sens à ma vie. Pas rêveuse rien qu’un peu, la fille!

Tant qu’à faire le mal, fais-le bien!

Ça faisait de l’écho dans mon crâne.

Puis j’ai réalisé que, depuis que j’étais toute petite, j’essayais de faire le bien, mais je le faisais mal. Combien de fois j’ai voulu aider et me suis plutôt mis les pieds dans les plats, en entraînant ou pas mes ami-e-s? Combien de fois j’ai voulu faire ce que je croyais qui était le mieux, et j’ai foutu le bordel dans ma vie?

Trop souvent.

Ce qui m’a emmenée à penser : Est-ce que les intentions comptent vraiment? Est-ce qu’elles pardonnent les résultats catastrophiques sous prétexte qu’elles étaient bonnes? qu’elles se voulaient vertueuses?

Acquiescer à ces interrogations réfuterait l’idée que nos actes ont des conséquences à assumer.

Faut dire, toute ma vie, j’ai cru au karma. Même enfant, la peur de mal agir me donnait des palpitations; je pensais qu’il y avait un oiseau qui battait des ailes dans mon cœur. J’essayais tellement de plaire à tout le monde que jusqu’à l’adolescence, devoir choisir entre voir mes ami-e-s ou mes parents me déchirait le cœur. Je voulais pas qu’ils se sentent mis de côté, sous peine de me tordre sous les remords éternellement.

Je prenais pour acquis que le karma, c’était un mot rapide pour dire que si t’es mal intentionné, tu te craches en plein visage et que si tu es bien intentionné, tu cultives ton jardin de bonheur, comme disait Voltaire. Mais comme ces temps-ci j’ai vraiment un karma peu indulgent (oui, je gaffe beaucoup, mais n’empêche, mon karma n’a pas le cœur sur la main), j’ai fait comme toute bonne fille en désarroi aurait fait.

J’ai googlé le karma pour savoir quel était son sac-à-papier de problème. Comme chaque fois où je m’impatiente devant mes questions existentielles, par désespoir (et par une parcelle de lâcheté), je m’abandonne à lire mon horoscope.

Et bon, j’ai découvert qu’en fait, le karma, c’est plus complexe que ça : c’est comme la loi de cause à effet. Ce qui veut dire que chaque action te revient en égal… ou en négatif.

Il y a donc quatre déroulements possibles :

  • soit tu agis bien et tu reçois positivement,
  • soit tu agis mal et tu reçois positivement,
  • soit tu agis mal et tu reçois négativement,
  • soit tu agis bien et tu reçois négativement.

Conclusion : le karma c’est spécieux et vain. En bon français, c’est de la bullshit. Et je suis terriblement affectée par ça. Ça voudrait dire que les intentions comptent pas vraiment, voire pas du tout. Ça voudrait dire que même en faisant de ton mieux, t’es pas récompensé. Mon junkie avait raison; tant qu’à déclencher le mal, je devrais le faire avec l’intention de le déclencher.

J’ai longtemps cru que l’homme était fondamentalement bon, parce qu’au fond, même si mes choix étaient irréfléchis ou même parfois un peu égoïstes, j’ai jamais voulu faire de mal à personne. Je préfère avoir mal que de blesser quelqu’un, car autrement, on est deux blessés. Je me blesse automatiquement, par empathie. Mais peut-être que l’homme est fondamentalement mauvais, et que c’est pour ça que j’ai un si mauvais karma. Peut-être qu’on est si mauvais qu’on s’en rend même plus compte. Peut-être que c’est vrai que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Ou peut-être que Rousseau avait raison en disant que c’est la société qui nous corrompt. De toute façon, j’aime déjà ça, bitcher la société.

Y’a un grand sage d’à peine 19 belles lurettes d’années qui m’a dit une fois :

« Ben, je pense pas que ça aille rapport avec le fait d’être né bon ou mauvais. Ça peut-être plus rapport entre être né sensible ou insensible. »

Évidemment, c’était un grand sage sensible.

Ce qu’il voulait dire, je crois, c’est qu’en étant sensible, tu risques plus souvent d’hésiter devant un choix qui risque de blesser des gens. T’es jamais vraiment sûr de toi. En étant sensible, tu choisis ce que tu penses qui est le mieux pour tout le monde. En étant sensible, tu ressens plus la peine des autres que t’as blessés. Tu ressens plus de culpabilité de les avoir blessés. C’est peut-être pour ça qu’on pense que notre karma donne rien, finalement. On est tellement concentré à ressentir la peine des autres qu’on regarde même pas notre jardin de bonheur.

Je sais toujours pas qui a raison dans tout ça. Ça me fait galérer. En tout cas, ça semble toujours être les insensibles qui gagnent. Les chanceux.

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