À toi que j’ai regardée avec insistance, alors que nous nous croisions dans la rue et que j’ai ralenti le pas pour mieux t’observer, pardonne-moi. J’ai vu, dans tes yeux, le doute. Tu n’avais pas de confiture sur le coin de la bouche, ta jupe n’était pas sale, tu étais tout simplement magnifique. Et j’aurais voulu te le dire, mais non, j’ai continué ma route.
À toi, jeune ado, qui jouais à Pokémon Go tout près du métro, pardonne-moi. J’ai vu, dans tes yeux, le doute. Je ne te jugeais pas, non! Je te trouvais beau. Je t’ai trouvé encore plus beau lorsque tu as laissé ton petit frère – je me plais à imaginer que c’était ton petit frère – lancer je ne sais combien de Pokéballs jusqu’à ce qu’il réussisse à en attraper quelque chose. Je ne te jugeais pas. Et j’aurais voulu te le dire, mais non, j’ai continué ma route.
À toi, jolie maman, dans tes shorts en jeans, tes vieux Nike et un t-shirt trop grand pour toi, qui grondais ton enfant étendu à côté des concombres au supermarché en tenant la main de la plus vieille qui tentait de se sauver vers les bouteilles colorées de Kombucha, pardonne-moi. Je t’ai regardée, oui, et probablement n’as-tu pas vu mon sourire qui se voulait encourageant, au travers de tes cheveux qui te cachaient un peu les yeux. Sache que j’étais de tout cœur avec toi. Je sais ce que tu vis. Tu étais bonne en maudit. Good job, mom. Si on se recroise à l’épicerie, je te promets que je ne continuerai pas ma route sans m’arrêter pour te le dire.
À vous, belle femme, qui, sur vos jambes un peu frêles, vous teniez tout de même solidement, dans votre ensemble jupe et veston fleuri, en file à la banque, pardonnez-moi. Je ne pouvais m’empêcher de vous observer. Je me demandais quel âge vous aviez, je vous trouvais vachement élégante, j’étais jalouse de vos chaussures et, au fond de moi, je me suis prise à espérer vous ressembler plus tard. Votre assurance, votre style, votre expérience, la sagesse que vous dégagiez, j’étais impressionnée. Vos yeux ont croisé les miens et je ne sais pas ce que vous avez pensé, mais j’espère que vous n’étiez pas mal à l’aise. Et j’aurais voulu vous le dire, madame, à quel point vous me fasciniez, mais non, je me suis présentée au guichet parce que c’était mon tour et je n’ai rien dit.
À vous, couple follement amoureux, que je regardais alors que vous vous enlaciez avec tendresse sur le quai du métro, je ne vous demande pas de me pardonner. Vous ne m’avez même pas remarquée, tant vous étiez absorbés l’un par l’autre. Vous étiez parfaits, avec vos doigts entrecroisés. Avec la main qui caresse les cheveux de l’autre dans un geste doux. J’ai continué mon chemin vers la sortie, sans penser que j’aurais dû vous le dire, que votre amour embaumait le bonheur. Jamais je n’aurais osé vous déranger.
À toi, cher voisin, qui rigole très fort, fenêtres et portes ouvertes, avec tes potes, en buvant de la bière tard le soir. Même si j’ai envie de t’engueuler parfois parce que sérieusement, tu es salement bruyant, pardonne-moi. Je te regarde parce que ta vue me rappelle des souvenirs de mes années d’université et me rend nostalgique parfois. Si un jour tu me parles, peut-être que je te le dirai. Je ne continuerai pas ma route, parce que sur un balcon, y’a pas grand place pour marcher, et je ne rentrerai pas chez moi parce que je suis polie. Je te trouve sympathique, même si tu devrais porter un chandail et des pantalons plus souvent.
À vous tous, chers inconnus, sachez qu’un jour, je souhaite accumuler une dose de courage suffisante pour vous exprimer ma gratitude. Vous avez coloré un moment de mon quotidien et avez su y déposer un peu de beauté.
Par Marylène Kirouac