C’était court. C’était fort. C’était malsain.
On se faisait face, incapables de parler – on n’avait rien de beau à dire de toute manière. Nos yeux parlaient pour nous. Ils partageaient la douleur, leurs mots via nos maux. Je te regardais et j’essayais de comprendre ce qui te détruisait, ce qui t’empêchait de dormir. Tu faisais de même. Pourquoi, alors que tu étais couchée à mes côtés, les seules choses que nous étions en mesure de faire étaient de l’autodestruction pure? On se reflétait notre douleur. À deux, on tentait d’la diviser, mais on la décuplait. À deux, on tentait d’oublier que le monde ne nous appartenait pas, que nous ne trouvions pas notre place parmi les rangs, que chaque jour qui passait semblait nous enfoncer dans une errance plus profonde, dans un univers où nous n’étions que spectatrices de nos propres vies. Comme si, au fond, à ce moment précis, on ne croyait plus en notre pouvoir de décision. Qu’est-ce qui nous avait amené là? Qu’est-ce qui a fait que nous nous sommes rencontrés? Deux âmes à sauver, deux âmes incomprises, qui ne cherchaient que du réconfort, et qui l’une auprès de l’autre trouvait un moment de silence – de paix. L’une pour l’autre, nous étions ce pont sous lequel on passe lors des grandes averses où, pendant un instant, la pluie s’arrête. Comme s’il n’y avait plus personne pour nous juger. On comprenait nos douleurs, nos maux, nos dépendances et nos folies. On n’avait pas besoin d’expliquer les larmes, la consommation, même les cicatrices : c’était logique, c’était notre jardin. C’était nous. Nous avons fait comme ça, pendant quelques mois : se voir occasionnellement pour vivre notre mal-être, pour être seules à deux, pour profiter du silence de l’autre comme d’une approbation. Ça ne pouvait pas durer. On descendait trop creux. On s’enlisait trop bas. On n’a pas pu se faire croire éternellement que, tout ça, c’était bien… et puis, de toute manière, c’est devenu douloureux. On s’aimait trop pour se regarder l’une et l’autre en mode autodestruction. On s’aimait trop pour se laisser faire et là, seulement, a-t-on peut-être compris que l’on ne pouvait pas s’aider, mais qu’on avait besoin d’aide.
Là, seulement, a-t-on peut-être compris qu’on aurait du être là autrement l’une pour l’autre, qu’on aurait du s’entraider à retrouver une qualité de vie ensemble plutôt que d’accumuler les bouteilles vides et les cicatrices. On aurait du prendre soin de nous d’amour ; pas en se complaisant dans notre douleur et en pensant que, tout ça, c’était bien. C’était court. C’était fort. C’était malsain. Ce n’était pas du bien.
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