Écrire, écrire pour quoi faire? Écrire pour s’exprimer, pour raconter des histoires? Pour se battre? Pour expurger des émotions?
Pour moi, écrire c’est tout ça en même temps, et ce, depuis aussi longtemps que je m’en souvienne.
Quand je discute de cette pratique avec des amis, il n’est pas rare que j’entende cette phrase « Moi aussi j’écrivais quand j’étais plus jeune, mais j’ai arrêté depuis. » Souvent, ce constat émerge de la bouche de personnes que je perçois comme sensibles, créatives, vivantes. Et alors, je ne comprends pas trop pourquoi l’écriture a cessé pour eux d’être un espace personnel. La page griffonnée des calligraphies de l’enfance s’est mue en tableau blanc, laissé seul à jamais.
Chaque fois que j’entends cela, je suis un peu triste parce que je sais profondément à quel point l’écriture peut faire du bien. Nous autres — être humains — pensons en mots, en concepts, en idées. D’autres ont plus de facilité à penser en images, en couleurs, en formes, en mouvements. Je ne pense pas qu’il y ait de pratique cathartique universelle; ceci dit, il y a définitivement en chacun de nous un potentiel créatif non ou sous-exploité.
Alors ce texte s’adresse à toutes celles et tous ceux qui, jadis, empoignaient une plume bancale pour coucher un peu d’eux-mêmes sur le papier. Souvenez-vous de ces moments, souvenez-vous du soulagement, rappelez-vous de l’encre sur vos doigts et de la tension dans votre main. C’est cela aussi l’écriture : un sentiment physique de réalisation, d’avoir pu à un moment donné se détacher du soi pour devenir multiple, d’exister en soi, mais aussi sur une autre plateforme, qui d’une certaine manière, ne nous appartient pas.
Par ailleurs, il y a une énorme différence entre une pratique de l’écriture publique et une pratique personnelle. Ne serait-ce que dans l’exercice d’écrire pour être publié, le lecteur devient alors une ombre ondulant au rythme du poignet, toujours un peu présent, mais jamais matériel. Ce fantôme-là peut faire peur, je le concède. Son existence dans votre vie dépend d’un choix que rien ne vous oblige à prendre. On a tant sacralisé le métier de l’auteur que l’acte même d’écrire en est devenu détaché du geste simple que nos ancêtres les Cro-Magnon réservaient à l’Histoire. En 2018, les modes d’expression, les artefacts culturels, les mécanismes de consommation de l’art et des choses de ce monde se sont exponentiellement diversifiés. Des arts primitifs sont devenus élitistes, des formes d’artisanats érigées au statut d’art global, et l’écriture dans tout ça s’est vue cristallisée en une vision romantique de l’Artiste maudit.
Mais toi, graine d’écrivain.e solitaire, es-tu forcé.e de rentrer dans ce moule? As-tu dans tes rêves toutes les nuits des petits lutins venant te susurrer de ne pas écrire, de ne plus jamais écrire? (Si oui, alors viens donc me raconter tes rêves, ils ont l’air géniaux.) La seule barrière entre toi et ce goût pour l’écriture délaissé, c’est toi-même.
Dans ce noeud de création, la peur est omniprésente : peur de ne plus savoir écrire, peur d’écrire une phrase et de se décourager, peur de se lire et de voir entre les lignes des vérités qu’on préfèrerait cacher. Car les mots ont un pouvoir que nous connaissons tous. C’est par eux que se diffusent les idées ainsi que les pires idéologies humaines, c’est à travers eux aussi parfois qu’on aime et qu’on se déchire.
En ce sens, se les réapproprier demande un effort, demande une réflexion, une forme d’introspection et la définition d’une intention dans l’écriture. Créer sans but, c’est le risque de se trouver confronté au vide ou à des parties de soi que l’on ne veut pas voir. Alors oui, je crois vraiment que la première étape pour se rabibocher avec l’écriture, c’est de savoir pourquoi on écrit.
Les raisons sont multiples et elles vous appartiennent. Nul besoin de se justifier à quiconque, dans l’obscurité ou la lumière de votre chambre, vous êtes seul.e.s. Peut-être avez-vous envie de rendre plus belles encore les histoires qui vous animent dans le calme de votre esprit, peut-être sentez-vous l’urgence de vous exprimer sur l’état du monde, peut-être vous noyez-vous dans les remous de vos émotions, peut-être sentez-vous la fibre des mots vous chatouiller pendant des lectures amoureuses, peut-être avez-vous envie de renouer avec le passé…. Mille autres bonnes raisons pourraient être listées, mais je vous fais confiance.
Je fais confiance à votre esprit et à vos doigts, à vos claviers et à votre intelligence pour reprendre d’assaut les mots qui vous habitent. Nos univers psychiques, imaginaires et intellectuels sont des merveilles d’humanité. Toutes nos expériences de vie sont valides. Qu’elles restent dans vos intimités ou qu’elles soient partagées et lues importe peu, c’est la création et votre accord avec vous-même qui en seront félicités.
Et si, lorsque confronté à la page blanche, votre trait dessine des formes, des lignes, si vos yeux voyagent sur la page au rythme d’une musique, si soudain vos idées fusent dans d’autres directions, n’ayez pas peur; c’est le génie de la création qui vous habite, qui vous salue, qui vous encourage à continuer.
En tant que collectif, en tant que société, à l’heure où les populismes et les idéologies divisionnaires prennent une place majoritaire, nous avons besoin plus que jamais que les individus s’expriment, se re-présentent, soient debout et éveillés. L’écriture comme prolongement de l’être est un des moyens existants pour faire valoir notre présence sur cette terre; si vous en avez l’impulsion, ne vous privez pas.
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