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Nos voisins les Parisiens – Par Emma

Il est 3 h 28 du matin et nous sommes le 14 juillet. Je suis assise sur mon balcon, et les rues du 12e arrondissement de Paris ne dorment pas. Les gens sont dehors, entourés de leurs proches, et tous célèbrent la fête nationale de la France en affichant leur fierté remarquable pour leur patrie et la solidarité qui les unit tous. C’est une journée de célébration de la culture française pendant laquelle ont lieu des défilés militaires, des repas de commune, des danses, des fêtes et de nombreux et grandioses feux d’artifice. Depuis l’appartement de mon cousin, je respire l’odeur des pâtisseries parisiennes des seuls commerçants qui n’ont pas mis la clé dans la porte à 13 h, le regard brillant à l’idée de retrouver les leurs. J’entends les voitures qui roulent trop vite et la musique de leur stéréo. J’entends les locaux qui gueulent d’une fenêtre à l’autre, comme si c’était vraiment ça, la vie parisienne, crier son honneur sur tous les toits.

Je me suis levée tôt ce matin. J’ai parcouru les quartiers qui bourdonnaient déjà de marchands sous la rosée du matin. À déambuler dans les ruelles, la valeur qui habite les Parisiens s’est ancrée progressivement en moi aussi. C’est souvent tenu pour acquis que les gens nous répondent dans notre propre langue, et pourtant, c’était la première fois depuis des mois qu’on me laissait entrer dans une vie de commune, comme si j’étais une locale au lieu d’une simple touriste. Les hommes me charmaient en m’offrant des melons d’eau. Les femmes me souriaient et me souhaitaient « bon appétit, Madame ». Les poulets tout droit rôtis de la boucherie-charcuterie du coin me saluaient, et les variétés d’olives, de noix, de fruits séchés et de houmous faisaient leur apparition par centaines. Au loin, j’étais surprise d’entendre chacun s’exprimer fièrement dans la langue de ma propre culture; une langue qui, à Québec, se veut quelque peu transformée par ses anglicismes, ses sacres et ses expressions particulières. Une langue riche et qui se mérite, parce que le français n’a jamais été isolé. Il reçoit et emprunte, donne et lègue. Il s’affirme et se développe autour de son expansion victorieuse.

Ça fait déjà un moment que je voyage en Europe, le lieu de naissance de mes racines. Aujourd’hui est cependant la première journée où je me sens réellement chez moi, à la maison. Ce n’est pas seulement parce que je visite ma famille, mais parce que la France à elle seule est une famille qui m’ouvre grand les bras et me salue chaleureusement. Pour une fois, on me répond en français, et je m’y reconnais. Une langue est une culture qui s’ancre profondément en chacun, différemment selon les accents des régions. Faillir à sa langue trop longtemps est, pour moi, un combat perdu d’avance, car, à quelque part, mes origines me manqueront.

Si voyager est un merveilleux cadeau que l’on s’offre, c’est lorsqu’on s’adresse à moi comme si j’étais l’une des leurs qu’on me fait un cadeau que bien des pays n’arrivent pas à m’offrir. Pour m’immerger d’une nouvelle culture, je dois être ouverte d’esprit et mettre de côté ce qui fait de moi une Québécoise, pas une Russe, ni une Allemande, ni une Croate. C’est une tâche douloureuse, étant donné l’histoire, l’art culinaire, le sport, l’éducation et la langue qu’il me manque en savoir, et qui se dénoncent eux-mêmes malgré moi. Pourtant, ici, je deviens Parisienne autant que je suis Québécoise.

J’ai parcouru du regard Paris et sa Tour Eiffel, son Musée du Louvre, son Arc de triomphe, ainsi que ses Champs Élysées. J’ai regardé loin devant moi et ce n’était pas parmi les groupes de trentaines de voyageurs que je me retrouvais. Je me reconnaissais par cet accent français ou québécois tout droit sorti de la bouche d’autres voyageurs et locaux. Parce que ça ne nous prend qu’un instant pour nous reconnaître et savoir que nous appartenons à une large tribu fière de s’agrandir malgré les différences de tous.

Depuis mon balcon, je les admire ces chics gens à l’accent français agréable, marchant, courant et pédalant d’un bout à l’autre de la ville avec une jolie baguette sous le bras. Je les admire sortir leur clé de leur pochette, mettre le pied devant une énorme porte de bois cloué et entrer dans un appartement à haut plafond. Ils parlent au téléphone, gueulent comme des enfants et se regardent tous l’un et l’autre avec des yeux envieux. Ils ont de la classe et se distinguent par leur façon d’être. Et nous, Québécois, nous avons la chance d’être chaleureusement accueillis chez eux, car nous avons bien plus en commun que des livres. Nous avons une culture qui se mélange gracieusement, qui nous rend tous cousins d’un continent à l’autre.

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