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Je savais que ce moment allait arriver. Je le savais parce que ça fait des mois que je m’imagine avec une bedaine grandissante, avec une petite vie qui n’attend que de venir au monde en moi. Je le savais que viendrait le moment où je dirais dans le vide: « Voici le jour tu aurais dû naître. » Ce moment, il est arrivé, juste là.
Mais voilà, j’ai eu un avortement. Une « interruption volontaire de grossesse », qu’ils disent… Moi je dis « avortement » parce que je n’ai jamais eu l’impression qu’elle était vraiment volontaire, cette interruption. Parce que c’est la décision la plus déchirante que j’ai dû prendre, parce que le deuil est encore là, la blessure encore à vif.
Je n’avais jamais vraiment réfléchi à l’avortement avant cet événement parce que c’était clair dans ma tête que ça ne pouvait pas m’arriver. Parce qu’en 2020, c’est béton la contraception… Ouain, ou presque… Disons que mon point de vue initial se résumait à : « Ça regarde les parents, c’est pas les affaires des autres. » C’était ma façon de m’en dégager, d’éviter l’inconfort de cette douloureuse et si personnelle prise de position.
Pis quand ça a été mon test de grossesse qui a été positif, j’ai d’abord été heureuse. Spontanément. Contente parce que ça me confirmait que j’étais fertile et que je pouvais créer des miracles. Contente parce que je veux vraiment des enfants depuis plusieurs années et parce que j’avais une job stable et les moyens. C’est juste après que je me suis souvenue que le père, c’était mon ex avec qui la relation était houleuse depuis un bon moment déjà, que j’étais en train de me faire traiter pour une dépression, et donc que j’avais du mal à prendre soin de moi-même.
J’ai tellement espéré que mes proches me convainquent de le garder… J’ai tellement espéré qu’on me dise « ça va bien aller », tellement voulu mettre les lunettes roses du déni et être la femme forte, la Superwoman. J’étais prête à sauter dans vide, sans considération, sans réfléchir, juste pour éviter la confrontation des valeurs, de mes valeurs! Je ne pouvais tellement pas accepter qu’une femme de mon âge en bonne santé physique et installée dans la vie, puisse faire ce choix. Je ne pouvais pas. On me disait que je devais me choisir. Mais comment pouvais-je ME choisir au détriment d’une nouvelle vie humaine? C’est la vie après tout! Je ne pouvais pas me résigner jusqu’à ce que je parvienne à voir les choses sous l’angle opposé. Et si c’était de garder l’enfant qui était égoïste? En quoi deux parents qui peinent à seulement communiquer, qui sont un peu brisés et qui se cherchent eux-mêmes auraient pu élever un enfant, lui montrer que la vie est belle, le stimuler, l’encourager, lui donner tout l’amour qu’il mérite, lui permettre de s’épanouir sainement? Peut-être auraient-ils pu, mais à quel prix? Pis je me répétais ce raisonnement rationnel comme un mantra, comme une prière, parce que mes tripes, parce que mes émotions, elles, étaient révoltées de la décision que j’allais prendre. Parce que j’étais en colère contre cette ironie de la vie.
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Et quelle place laisser à l’opinion du père dans la décision? Parce qu’au fond, le bébé, c’était moi qui allait le porter et moi qui allait le prendre en charge si le père décidait de prendre la poudre d’escampette. Mais aussi parce que, à l’inverse, s’il voulait la garde, il pouvait légitimement l’avoir et je devais pouvoir vivre avec ça. Un « contrat » qui nous liait pour toujours… Et les deux perspectives m’effrayaient… Même si je dois dire que nous avons géré le tout avec beaucoup de maturité et de sensibilité, même s’il m’a supporté et qu’il a été là pour moi, même si je n’ai rien à lui reprocher, le sentiment d’être prise à la gorge était bien présent. Et si notre décision « volontaire » a été de pencher vers ce qui nous semblait le moins pire cette journée-là, les larmes n’en étaient pas moins présentes et les cauchemars non plus.
La douleur est toujours là, au plus profond de mon ventre, là où aurait été le bébé, mon bébé. Mais le poids de l’angoisse et de la culpabilité diminue peu à peu, au fur et à mesure que je prends mon envol, au fur et à mesure que je deviens la personne que je veux être, la mère en devenir, la femme en devenir. Et bien que je ne saurai jamais vraiment si j’ai pris la bonne décision ce jour-là, ce que ma vie aurait été autrement, je sais que ce deuil m’aura amené la résilience. Je pense que je porterai ce poids tout au long de ma vie, mais j’ai espoir que la prochaine grossesse, celle qui sera attendue et désirée, saura rendre le souvenir plus doux et moins amer. Et ce dont je suis maintenant certaine, c’est que dans ce contexte, la bonne réponse, personne ne la connaît et personne ne devrait la juger.
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Anonyme