Avant que ton visage affiche son désarroi, relis bien le titre. Le malaise dont il est question émane de dites communautés qui se publicisent, pas des choix personnels que fait tout un chacun quant à son éthique de consommation. La ligne est mince entre vouloir inspirer autrui par ses choix de vie et vouloir, consciemment ou inconsciemment, les endoctriner. Pour certaines personnes, moi la première, la culpabilité se met souvent d’elle-même sur le cruise control pour guider ma vie. C’est pourquoi j’ai compris de bonne heure que je devais me tenir loin des cadres sectaires, qu’ils soient religieux ou simplement basés sur un mode de vie qui s’automarginalise.
Ça ne m’empêche pas de lire ma bible en me nourrissant de végétaux locaux dans le confort de ma maison, sans devoir m’enraciner dans une communauté qui efface les frontières de mon individualité pour une identité collective. On dit que la force est dans le groupe… est-ce que cela s’applique même si l’on tente tous d’être pareils, armés d’un message indivisible qui nous crée des œillères face au reste du monde?
S’identifier personnellement à une extrémité ou l’autre de la normalité, c’est une chose. Prêcher haut et fort détenir LA façon de vivre la plus saine, ça brainwash quelques âmes coupables qui embarquent temporairement dans le train, certes, mais ça crée un énorme fossé entre toi et le reste de la société qui se sent critiquée par ton message. Lorsqu’on se sent jugé, la réponse humaine normale est de se mettre sur la défensive, en mode fermeture au message de l’autre, et ainsi se créer de fameux écarts qui s’emplissent d’intolérance.
C’est de ma grande compassion elle-même que me vient mon malaise grandissant envers certaines communautés vegans; celles qui créent des remous, celles qui passent de la militance pacifique dans l’assiette à celle dans les rues pour dénoncer divers cas de maltraitance animale. Celles qui font vibrer les réseaux sociaux en parlant souvent à tort et à travers, faute d’une analyse rigoureuse d’une situation. Celles qui semblent parfois recracher un message préfabriqué sur un ton passif-agressif. Celles qui enfoncent leurs ongles dans la culpabilité des gens qui n’ont peut-être pas été choyés d’une éducation épanouissante, qui croulent peut-être sous les dettes et ne pensent qu’à garder la tête hors de l’eau pour leur famille, et qui se crissent ben raide des ingrédients douteux dans une saucisse à hot-dog à ce stade de leur vie. Pointer un doigt condescendant, le chest bombé, pour qu’on ne manque pas une lettre de son t-shirt « go vegan » ne créera pas plus de vegans, mais créera son lot de vegan haters. Personne n’en sortira gagnant, encore moins ces animaux à qui l’on souhaite donner une voix.
C’est ça qui me purge, au fond : ce questionnement à savoir si nombre de mouvements vegans ne nuisent pas plus aux animaux que l’inverse. Si l’approche vegan était moins dans les extrêmes, les images chocs, l’aliénation et les messages dictatoriaux, mais davantage dans la douceur et l’ouverture, peut-être n’y aurait-il pas plus de vegans purs et durs, mais je suis certaine qu’il y aurait beaucoup plus de gens ouverts à entamer des démarches en faveur d’une éthique alimentaire moins macabre. Créer des groupes de découvertes de recettes vegans, offrir des séances d’informations en milieu communautaire en misant sur le fait que « chaque effort compte », réapprendre aux gens à faire pousser de la nourriture, par exemple, plutôt que de rester en vase clos, pourrait permettre aux communautés vegans d’être mieux comprises, et en revanche de créer un milieu d’échange constructif dans la société.
Si les communautés vegans sont capables de faire preuve d’autant de compassion animale, je suis certaine qu’elles en sont capables pour l’homosapiens également. Car non, tous les humains ne partent pas égaux dans la vie et n’ont pas les moyens ou les outils pour se faire du fauxmage maison à base de cajous biologiques.
Critiquer ce que les autres mangent est extrêmement effronté puisque, breaking news, l’alimentation de tout le monde est critiquable. La fameuse saucisse à hot-dog pleine de retailles dégoûtantes est plus locale que tes baies de gojis, ou encore nombre de substituts vegans regorgeant d’huile de palme à la source du dangereux déclin d’espèces animales (et végétales) des tropiques. Non, l’orang-outan n’est peut-être pas mort d’un volontaire clou dans la tête, mais se réconforter de sa mort douce, moins directe, en croquant dans sa toast à la margarine serait hautement hypocrite. Mon point ici? Cessons de jouer à « qui fait le moins de dommages en mangeant » et commençons donc à nous unir en vue de développer des stratégies durables pour contrer la crise alimentaire qui s’abat tranquillement sur la planète. Et ce, je le répète, sans aller gratter dans la culpabilité des gens, mais bien en usant de stratégies éducatives exemptes de jugement.
Lorsqu’un mot est surutilisé ou mal utilisé, il devient l’objet de moqueries ; il perd son sens premier. Malgré des efforts acharnés à le faire valoir, pour nombre de gens, le mot féminisme est encore associé à une femme frustrée qui met feu à sa brassière. Je constate que le mot vegan commence peu à peu à créer de l’exaspération hors des communautés, à s’imprégner de stéréotypes nuisibles pour la cause bien légitime. L’univers n’a pas besoin de savoir que tu es vegan si c’est l’excuse que tu te donnes pour publier un selfie avec un smoothie vert parce que c’est #trendy. L’univers a besoin de voir des actions concrètes, des récits qui inspirent le changement, et ce, sans que le reste du monde se sente regardé de haut. Il serait dommage qu’un mouvement basé sur des principes aussi légitimes perde toute crédibilité, faute de membres qui diminuent la cause au profit de leur gros ego et leur quête de reconnaissance.
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