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Merci, Dude!

Ça fait un an et demi que je n’ai pas fait de rechute. Je ne compte pas, mais c’est à peu près ça. Ça fait assez longtemps, en tout cas, pour que les nouvelles personnes dans ma vie ne puissent pas trop comprendre d’où je reviens. J’ai l’air d’une fille un peu hors normes, mais rien d’alarmant. Des pots de pilules sur la table de chevet, c’est tout.

Quand les gens s’approchent assez et que la discussion mène là, ils ont pas mal tous la même réaction un peu à côté de la plaque : « Ah ouin!? Ça paraît pas, pourtant… ». C’est sûr que je ne l’ai pas de tatoué dans le front, mon diagnostic, pis je ne suis pas une réplique de Sissi dans le film Borderline. Je reste habillée dans les partys pis, de toute façon, je ne bois plus.

Si je n’ai pas de chum ou de blonde, que je conduis une minoune, pis que je suis encore aux études à 30 ans, c’est que j’étais occupée à bien d’autres affaires quand mes amis s’appliquaient, eux, à faire les choses comme il le faut. Mais j’ai la résilience d’Hulk pis je prends la vie comme un cadeau, vraiment, parce qu’il y a bien des moments dans les dernières années où je pensais y rester. Mais là, tout le monde est content parce que j’ai enlevé mes numéros de téléphone d’urgence sur mon frigo. Fack, en gros, tout va bien.

Un peu avant Noël, mon chat n’est pas rentré… Je l’ai attendu, mais j’avais un mauvais feeling. Comme de fait, je ne l’ai plus revu. J’ai fait le tour du voisinage, j’ai mis des affiches pis j’ai passé mes journées devant la fenêtre, mais non, rien. Alors ma sœur m’a acheté un onesie de licorne pour me réconforter, pour que j’aie l’air plus cute écrasée sur mon divan. Ça paraît con, mais ce chat-là, je l’ai serré dans mes bras pendant des heures quand j’étais au plus mal, je l’ai regardé vivre quand moi, je n’y arrivais plus. Dans les pires moments, isolée dans ma chambre, il n’y avait que mon chat, fidèle au poste. Il s’en foutait lui, de me voir pleurer.

En tout cas, ça a rouvert toute grande la fêlure dans ma tête par où la douleur entre. Ça faisait tellement mal que je n’arrivais plus à pleurer, j’étais comme engourdie. Je n’ai pas vu le shift se faire, ça s’est passé trop vite. Tout ce que je sais, c’est que je ne voulais plus de personne dans ma vie, tout le monde allait finir par me quitter, fack j’ai sacré tout le monde dehors avant qu’il ait le temps de partir. Je n’appelais plus personne et ne répondais plus aux messages Facebook. J’étais tellement en colère que j’ai envoyé chier mon meilleur ami et lui ai dit que je ne voulais plus jamais le revoir. De toute façon, il serait parti, lui aussi, à un moment ou à un autre.

C’est, entre autres, ça, être borderline : ne pas savoir dealer avec la perte d’un être cher. J’act out pour évacuer la douleur. De l’extérieur, j’ai peut-être juste l’air d’une bitch au-dessus de mes affaires, mais en dedans, c’est l’apocalypse… parce que j’ai perdu mon chat. Pis mes acting out vont souvent causer encore plus de dommages que l’élément déclencheur… C’est un cercle vicieux qui attire dans le fond du tourbillon. La dernière fois, ça m’a amenée à l’aile psychiatrique après des années de descente.

Mais malgré tout ça, mon meilleur ami m’a écrit pour me demander de mes nouvelles, en m’avouant que depuis que nous nous connaissions – même pas un an –, il avait beaucoup lu sur mon trouble. Il avait compris que j’étais en réaction et que je ne voyais plus clair, que j’avais perdu le contrôle. Et il m’a dit qu’il savait que je l’aimais plus que tout. Il avait été relire certains trucs et il m’a dit que les deuils peuvent être beaucoup plus durs et longs pour les ‘’borderliners’’, comme il les appelle. Et que ce serait peut-être une bonne idée de m’acheter un nouveau chat, comme ma famille me poussait à le faire. Puis il m’a envoyé un gros câlin par les Internets, parce qu’il était à l’autre bout des Amériques pour les fêtes.

La plupart des gens m’auraient laissé tomber, et c’est normal. Mais tout ce que ça aurait fait, c’est confirmer mes peurs, prouver que j’avais raison et me pousser encore plus loin dans mon setting de tête un peu affreux. Son message a été une grosse boule de coton rose et ça m’a calmée juste assez pour que je réalise que j’étais partie en vrille et que je devais enclencher l’opération Urgence. Remettre les numéros sur le frigo, appeler l’acupuncteur, annuler la vie normale pour un temps.

Il ne le sait peut-être pas, mais ce jour-là, il m’a donné beaucoup, beaucoup d’amour. Dans la vie de tous les jours, mon entourage pèse sur des boutons déclencheurs sans même le savoir. Mais, merci à l’Institut Victoria, j’ai appris à me gérer, et la réalité, c’est que je dois souvent travailler pour deux parce que très peu vont lire sur le trouble de personnalité limite, même s’ils me côtoient de près. C’est aussi ça, vivre dans un monde où la maladie mentale est un tabou… Personne ne peut gérer ma maladie à ma place, mais très rares sont ceux qui se renseignent ou s’adaptent comme ils le feraient pour un ami diabétique ou cardiaque.

Fack, Dude, il faut que je te le dise : MERCI pis je t’aime!

Anne-Marie Benoit

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