« – Oui, allô ?
– Bonjour Mme Otis, c’est votre vétérinaire. Je vous appelle pour vous dire qu’on a bien fait de faire le SNAP Test à Pepper… Elle a le ver du cœur et une erhlichiose… »
– Quoi ? »
Au départ, je ne comprenais pas vraiment ce qui se disait. Je ne comprenais pas qu’en un an et demi de vie avec Pepper, on ne lui avait jamais fait passer ce test-là. Surtout avec tous les problèmes de santé qu’elle a eu en arrivant du Mexique. En même temps, il y avait quelque chose à l’intérieur de moi qui s’en doutait fortement. Il y avait une alarme qui sonnait, même si elle ne montrait aucun symptôme. Parfois, j’ai même eu l’impression qu’elle essayait de me le dire. Combien de fois j’ai tue la petite voix dans ma tête en me disant que je m’en faisais encore pour rien. Mais voilà que l’on me confirme ce que j’appréhendais, ce que je redoutais : ma chienne, ma meilleure amie (je ne vous mentirai pas : mon bébé !) est atteinte d’une maladie traitable, risquée et dispendieuse. Ma chienne d’à peine quatre ans, autrement en pleine forme, affectueuse et bonne vivante, risque de souffrir, voire de mourir, si je ne lui fournis pas les soins nécessaires assez rapidement. Soins qui, comme mentionnés précédemment, coûtent un bras, une jambe et une fesse !
Qu’est-ce que je fais? Moi qui viens tout juste de finir mon bac et qui n’ai même pas encore de travail officiel.
Automatiquement, c’est la culpabilité qui me prend. Pas parce que j’ai l’impression d’être responsable de sa maladie, mais plutôt parce que je me suis sentie incroyablement mal d’être affectée par un problème aussi bourgeois. Quand on y pense, j’ai quand même le luxe d’avoir un animal domestique et je m’inquiète du coût de ses besoins, alors que plusieurs personnes n’ont même pas les moyens de se soigner eux-mêmes. Évidemment, en adoptant un animal, j’étais consciente que ça risquait d’arriver. Et en adoptant un chien errant du Mexique, mes chances étaient encore plus grandes de tomber sur un chien malade. Reste que je ne m’attendais jamais à avoir aussi peu de chance. Je ne m’attendais pas à ce que mon animal attrape la seule maladie qui n’était pas couverte par les assurances que je lui ai prises, naïvement, avec les meilleures intentions du monde. Tu parles d’argent jeté par les fenêtres…
Cette culpabilité insensée m’amène à imaginer tous les enfants que j’aurais pu nourrir avec l’argent que je vais mettre dans le traitement, mais qui, finalement, servira à assouvir mon désir égoïste de sauver un animal dont je me suis approprié la vie. L’argent que j’aurais pu envoyer à un organisme qui aide à sauver des milliers d’animaux qui disparaissent dans les feux en Australie, mais qui n’aidera finalement qu’un simple animal domestique. L’argent que j’utiliserai pour contrer le deuil d’un être qui m’est cher, sachant très bien que je suis en train de prioriser une âme que je connais, alors que je mange du porc pour souper sans (assez) me soucier de leurs âmes à eux.
En même temps, je ressens profondément que je dois la soigner, parce qu’elle est spéciale à mes yeux, parce que j’ai une connexion avec elle. Parce que c’est l’amour de ma vie et que j’ai l’impression qu’elle seule me comprend vraiment. Parce qu’elle me voit aller, chaque jour, et qu’elle m’aide à avoir conscience de mes crises d’anxiété avant même qu’elles arrivent. Parce qu’elle me permet de m’isoler pendant le pire de mes périodes d’anxiété sociale sans avoir à me sentir seule pour autant. Parce que je l’ai sauvé de la rue où elle se faisait très probablement battre et où les restaurants mettaient du poison à rat dans leurs poubelles afin de contrer la surpopulation de chiens errants. Parce que j’ai cru que sa vie valait quelque chose, autant que la mienne. Parce que je ne l’ai pas fait venir du Mexique pour m’en débarrasser au premier problème. Parce qu’elle est reconnaissante de ne plus avoir à vivre dans l’inquiétude de ne pas manger chaque jour. Parce que sa vie dépend de moi. Parce que c’était un faux dilemme de croire que si elle n’avait pas été malade, j’aurais utilisé cet argent-là pour sauver le monde. La vérité, c’est que j’aurais juste été moins serrée dans les prochains mois.
Je vais la soigner parce qu’elle m’aide à aller mieux et que j’ai envie de lui rendre la pareille.
Mes motifs sont peut-être égoïstes, mais ma conscience ne me permettrait pas de ne pas tout essayer pour la sauver. Elle a encore une belle et longue vie devant elle.