Tu la connais cette douleur sourde, invisible, celle qui te tord les entrailles et te fait dire n’importe quoi n’importe quand?
L’as-tu déjà ressentie? L’as-tu déjà vue chez les autres, l’as-tu déjà vue torde le visage de ceux que tu aimes, leur faire perdre leur lumière et leur sourire?
Cette douleur-là arrive quand il faut pas; elle vient quand tu ne t’y attends pas.
La plupart du temps, elle est plus forte que toi, elle assombrit tes jours, tes nuits, et tes matins se ressemblent tous, ces éveils que tu tentes d’éloigner parce que se réveiller c’est se rappeler que la douleur ne s’est pas échappée dans tes songes.
Parfois même elle s’infiltre dans tes rêves, transformant tes nuits en de longs corridors dans lesquels tu ne sais plus trouver la porte te menant à la réalité, coincé•e dans un monde cruel, effrayant et plein de toi, de tes souvenirs, tes peurs et tes angoisses.
Si ce que je décris te parle, alors nous connaissons la même douleur. Elle est organique, aussi physique que mentale. Elle intervient à divers degrés chez chacun, pour de multiples raisons qui ne regardent que toi. Elle va de la discrète ombre qui te suit, jusqu’à la nuit qui tombe malgré l’astre au zénith qui éclaire tout sauf toi.
Elle fait mal cette douleur, et moi non plus je ne l’aime pas.
Mais est-elle vraiment notre ennemie cette douleur? Savons-nous vraiment pourquoi est-elle là, si présente tandis que nous essayons de la chasser ardemment?
Plus le temps passe et moins je ne suis sûre de cela…
Si j’écoute ma douleur, si je prends le temps de la sentir dans chaque pore de ma peau alors je perçois une force, une force qui tente de sortir de moi, mais que je ne laisse pas, que je contiens à l’intérieur de moi, quitte à brûler en dedans, à empoissonner mes organes à force de souffrir en silence. Si je la laisse parler, s’exprimer librement, ma douleur me chante mon humanité, elle me rappelle que je ne suis pas invincible, que j’ai intérêt à me dépêcher de vivre si je veux pas avoir de regrets. Elle me chuchote à l’oreille d’aller confronter mes démons dans le miroir, d’aller regarder mes peurs dans les yeux et de leur crier que je suis plus forte qu’elles. Quand je croise ma douleur dans mes rêves, je la vois qui transforme librement mon passé, et si j’observe bien alors je la vois me montrer les choses qui clochent, je la vois qui dessine d’un doigt de fée mes névroses dans les courbes des nuages menaçants de l’orage.
Alors non, elle n’est pas subtile ma douleur, elle n’est pas douce non plus. Mais elle est mon amie oui, car elle me donne une force unique. Elle me fournit l’énergie nécessaire pour ne plus craindre d’ouvrir les yeux le matin. Elle me rappelle que je ne suis pas seule à la sentir en moi, chaque jour ou juste de temps en temps. Si tu apprends à connaître ta douleur, tu seras apte à reconnaître ses stigmates dans les regards des autres, dans ces sourires contrits qui veulent dire tant de choses, dans les gestes retenus, dans les larmes qui ne coulent pas, mais qui inondent les cœurs à l’intérieur. Ce savoir-là te donnera peut-être la sensibilité de venir en aide à ceux qui peinent à percevoir le mal qui les ronge, qu’il soit petit ou grand…
De la douceur, voilà ce dont nous avons besoin pour nous sortir de la douleur. De la douceur à notre égard, mais aussi à l’égard d’elle, que nous imaginons comme un serpent fugace qui glisse dans le noir de nos corps… essaie donc de l’imaginer comme cette pluie d’avant l’arc-en-ciel, parfois violente, parfois nous empêchant de voir l’horizon, mais derrière-elle se cache toutes les couleurs du monde. La douleur la plus dure annonce dans la frayeur la plus intense des joies si tu sais la reconnaître.
Mais parfois, je n’y arrive pas. Parfois je n’arrive pas à voir la force, et je pleure, et je me tords dans mes draps dans l’espoir de me vider du brouillard noir. Et j’attends. Mais parfois j’essaie et je sors, laissant les rayons blancs du soleil chauffer mes paupières, la rue m’appelle et j’ai un peu moins mal jour après jour.
Ces jours-là, ma douleur est mon amie, aussi puissante que l’amour, je n’en ai aucun doute. Pis aime-toi aussi, car ta douleur s’adoucit quand tu prends ton cœur dans tes bras de toutes tes forces, de tout ton être.
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