Non, détrompez-vous, je ne parlerai pas ici des bienfaits de faire chambre à part. Mes parents, amoureux comme des adolescents, pensent d’ailleurs à le faire, car mon père se transforme en moissonneuse-batteuse la nuit. Mais là n’est pas le sujet.
Je parlerai plutôt des couples qui, en pleine connaissance de cause, décident de ne pas vivre ensemble. De ceux qui ont décidé que de vivre sous le même toit ne rendait pas leur relation plus sérieuse ou plus valide. Des gens qui ont besoin de leur chambre à eux.
Vous n’y échapperez pas : je vais plugger un livre. J’adhérais au bien-fondé d’avoir une chambre à soi bien avant de lire l’essai Une chambre à soi de Virginia Woolf et bien avant de rencontrer mon amoureux. Elle y parle des bienfaits que revêt le fait d’avoir un espace personnel dans un but surtout réflexif et créatif, certes, mais j’y retrouve également plusieurs des raisons qui font en sorte que je tiens dur comme fer à ma chambre, mon espace. Son essai aborde la place des femmes dans la littérature, si bien qu’il est considéré comme un texte phare de l’histoire du féminisme.
Woolf y raconte qu’à l’époque (dans les années 30), il était impensable pour une femme de simplement s’asseoir dans un endroit public pour écrire ou réfléchir, d’avoir accès aux bibliothèques des universités, et encore moins d’avoir une pièce à soi. De là sa célèbre citation : «Il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction.»
Et moi d’ajouter :
« Il est indispensable que qui que ce soit ressentant le besoin d’avoir une chambre à soi ne soit pas gêné de le dire sous prétexte qu’il/elle est en couple. »
Puung
J’ai fait l’erreur de m’installer très vite avec mon ex. Très vite comme dans, vitesse-lumière vite. J’ai vite eu l’impression de ne pas être totalement chez moi. De ne plus avoir de cocon. Il me manquait quelque chose. Je suis une personne relativement introvertie qui a parfois besoin de s’enfermer dans sa chambre, dans son lit, dans ses bébelles. À l’époque je n’en parlais pas; je m’imaginais que de verbaliser ces envies ferait de moi une mauvaise partenaire. Puis j’ai connu un couple d’amis, ensemble depuis 8 ou 9 ans, qui n’ont jamais vécu ensemble, qui ne vivront jamais ensemble et qui ne désirent pas d’enfants (ça j’en parlerai une autre fois!). J’étais surprise et un peu jalouse. Parfois ils couchaient pendant une semaine chez l’un, puis une semaine chez l’autre. Parfois, chacun de leur côté pendant quelques jours. C’était naturel. Et ça n’avait rien à voir avec un quelconque « je ne t’aime pas assez pour m’engager. » Au contraire, ce sont sans doute les deux personnes les plus sentimentalement engagées et réalistes que je connaisse.
Emily Turner
Après ma rupture (qui, soit dit en passant, est survenue à cause de plusieurs facteurs, pas seulement celui de l’absence d’un quelconque cocon), je me suis juré que ça prendrait beaucoup de temps avant que je vive à nouveau avec quelqu’un avec qui je suis en couple. Je suis chanceuse : celui qui est devenu mon amoureux partage mon point de vue. Nous vivons maintenant dans la même ville (je suis une montréalaise toute neuve!) mais ne vivons pas ensemble. Je ne ressens pas de plus grand bonheur que de marcher la vingtaine de minutes qui sépare nos deux appartements pour aller le voir. D’entendre la porte s’ouvrir parce qu’il vient passer la soirée dans mon lit à regarder des films en mangeant des chips. Ou de demander « on dort où, ce soir? ». Il pourrait bien, s’il le désirait, passer un mois chez moi; je n’aurais pas moins l’impression d’avoir ma chambre à moi. Et des soirées off, selon moi, c’est bénéfique pour un couple. Même si c’est seulement pour écrire, pour se laisser aller à l’introspection. Les justifications sont inutiles si le respect et la confiance sont au cœur de la relation. En pensant à nos appartements, je ne peux m’empêcher de penser à Frida Khalo et Diego Rivera, l’artiste peintre et le muraliste engagé, qui habitaient deux maisons côte-à-côte et reliées par un pont. Khalo affirmait que les deux maisons représentaient leur besoin d’être deux personnes à part entière, et que le pont représentait leur amour.
J’ai entendu toute sorte de commentaires sur ce choix. « Tu as 27 ans! C’est pu le temps de vivre avec des colocataires si t’as un chum, voyons! » « C’est tu parce que vous n’êtes pas sûr de vous aimer? » «Tu ne connais jamais réellement une personne si tu ne vis pas avec elle. » « Tu vas faire ça toute ta vie? »
À toutes ces personnes je dis : je ne considère en aucun cas mon choix comme le seul bon choix. C’est le mien, et il est aussi valide que les autres. Et ce qui est beau dans tout ça, c’est qu’un choix n’est jamais coulé dans le béton. Chacune et chacun sont libres de vivre leur amour comme bon leur semble. Vous savez, avec le temps, parfois, les arrangements et les besoins changent et évoluent. Peut-être changerons-nous un jour d’idée, qui sait? Rien ne presse, en amour.
Illustration en couverture et dernière photo : Philippa Rice