Je n’ai pas fait partie de la génération ayant connu un parcours académique où les cours d’éducation sexuelle avaient une place déterminée et exclusive parmi les autres matières. J’ai tout de même eu droit à plusieurs ateliers ici et là, faisant jadis le bonheur de ceux qui voyaient suspendu un cours de français pour une séance d’introduction à la sexualité et aux changements propres à la puberté. PowerPoint nous montrant dans le plus gros format possible les multiples et inimaginables proportions des ITS aux stades les plus avancés recensés et, bien sûr, l’inévitable faux pénis (il s’appelait Rosario), sur lequel on montrait à tous nos camarades qu’on n’a aucune crisse d’idée de comment ça marche un condom. Voilà, voilà. On connait à peu près l’anatomie pis on a ben ben peur des maladies, alors qu’on rit encore en entendant le mot « pénis ». Ça, c’est en secondaire un et deux. Ce qui vient est encore mieux.
Retour en 2009, classe de sciences de secondaire trois. Alors qu’on vient de terminer le chapitre sur la puberté, ça a l’air que quelqu’un a décidé de mettre sur place une belle petite série d’ateliers menés par une infirmière et un animateur à la vie spirituelle et à l’engagement communautaire (c’est vraiment son titre, pis des fois il jouait de la guit’). Ma mémoire épisodique est vraiment sur la coche, je dois dire, et j’espère vraiment être la seule à me rappeler de cette expérience de façon si détaillée. Je vous rapporte ici l’essentiel des éléments choquants évoqués par ces gens pleins de bonnes volontés, mais dont la maladresse me perturbe encore aujourd’hui. On a commencé par séparer en catégories les diverses activités sexuelles par degré de plaisir et d’engagement physique qu’elles comportent. De la catégorie « petits bisous, mots doux et baiser langoureux », on est passé à celle des « masturbations mutuelles et amour oral », pour, finalement distinguer la catégorie comprenant la seule, l’unique et non la moindre « pénétration ». Tout ce qui vient avant est donc décrit comme du pas grand-chose, des p’tits guili-guilis avec lesquels on devrait se sentir confortable si on est à l’aise de montrer nos grains de beauté turn off à l’autre personne.
Et c’est là que la belle métaphore arrive à nos jeunes oreilles : « Si je vous montre toutes les étapes avant d’en arriver à la pénétration, c’est parce que c’est important de ne pas aller trop vite et d’apprécier les plus petits plaisirs. C’est comme un jeune skieur qui commence par de petites pentes au Mont Tremblant, puis qui s’améliore, va dans les pistes expertes et finit par aller skier dans les Alpes suisses. Il va adorer son expérience! Et il pourra revenir faire du ski à Tremblant et apprécier tout autant par la suite. » Mais s’il avait commencé tout de suite par aller en Suisse? Comment aurait-il pu aller au Mont Tremblant et aimer son expérience, alors qu’il a commencé par les Alpes? Il va trouver ça plate! Vous voyez ce que je veux dire? On commence par les petits plaisirs pour ensuite allez vers LE plus grand plaisir qui est? Et nous de répondre en cœur : « La pénétration! » Oui, exactement! Ensuite, on peut retourner vers les petits plaisirs et les apprécier quand même.
Wow. Que dire? Préparez-vous bien à la prochaine métaphore (pleine de ressources, cette infirmière). Après nous avoir fait comprendre qu’à notre âge, le sexe on a pas mal juste ça en tête pis qu’on trépigne à l’idée de faire l’amour, elle nous met en garde : « Moi, mon dessert préféré c’est le gâteau au chocolat. J’en mange pas souvent, mais quand j’en mange, j’adooore ça! Mais si ma mère m’en faisait à tous les jours? Qu’est-ce qui se passerait? Ça finirait par m’écœurer! Hein? Vous comprenez? » Ok… donc, si on résume, le sexe, c’est ben bon, mais pas trop souvent, sinon on s’écœure pis tout ce qui n’est pas une pénétration c’est assez amateur et moyen en terme de sensations.
Huit ans plus tard, je réalise que derrière une bonne intention et probablement une réelle compréhension de la nécessité des cours d’éducation sexuelle, on a seulement eu droit aux moyens du bord pis ça a donné cette belle catastrophe. En voulant instruire, on a plutôt désinformé et fort probablement embrouillé des conceptions alors au tout début de leur construction. Encore aujourd’hui, il m’est souvent arrivé que des jeunes femmes de mon entourage me confient se sentir anormales, parce qu’elles préfèrent d’autres caresses à la pénétration. En tentant de sortir leurs petites angoisses de l’eau, je me rappelle de ces ateliers qui ont causé à retardement ce doute chez plusieurs d’entre nous. Quand on essaie à tort de construire un plan entourant le passage à la puberté, à la sexualité et à l’amour, sans une réelle formation et toutes les ressources nécessaires, on crée l’effet inverse et on amène ces novices à douter d’eux même lorsque leur évolution, aussi saine soit-elle, ne concorde pas avec ce que les grands leur ont appris.
Sur ce, je vous invite fortement à lire le texte de Catherine Desjardins qui vient appuyer la nécessité de confier ces ateliers aux sexologues.
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