Les ruptures, c’est dur. Culpabilité, ressentiment, déceptions… Le seul élément réconfortant, c’est qu’on y passe tous, et donc, on se comprend. Ça nous est tous arrivé d’avoir de la peine à un point où ça nous semble irréversible et permanent. On a tous sombré dans les abîmes du désespoir au point de se convaincre qu’il n’y aurait plus jamais que des journées grises, ou encore que, sans l’autre, il nous manque quelque chose d’essentiel et de crucial, comme s’il avait toujours fait partie de nous.
Sortir d’une relation qui ne nous convient plus, c’est s’aimer assez pour abandonner un navire qu’on est seul à faire avancer. Quand tout va bien, même si t’es tout seul à la barre, tu ne t’en rends pas forcément compte. Tu fais les lunchs tous les jours, tu brosses le chat, tu prends vos rendez-vous, tu t’occupes de l’appart, tu acceptes de passer après ses hobbys, tu aimes sa famille comme si c’était la tienne, tu fais des miracles de créativité et d’imagination pour pimenter le quotidien, et les jours te passent dessus comme la pluie sur le dos d’un canard. « Tu es un roc! … Tu es une péninsule! » Tu regardes vers l’avant parce qu’à quelque part, tu as cette certitude qu’il y a quelqu’un à tes côtés qui ne t’a jamais déçu (so far!).
Et un jour, tu te réveilles en pleine tempête pour t’apercevoir qu’avec tes deux petites mains, t’arrives pas à la tenir, la barre. Celui ou celle que tu imaginais comme ton copilote n’était pas au courant de son rôle. Il n’a pas la carte, il est perdu. Si tu t’aimes assez, tu laisses la barque couler toute seule. Mais comme c’est souvent le cas, avant de faire ça, tu rames jusqu’à t’épuiser, jusqu’à avoir le haut-le-coeur ultime, celui qui te fait réaliser que tu ne te respectes plus dans ta relation. Ton entourage est au courant bien avant toi de ce qui s’en vient, tes amis essaient de te conseiller, de te prévenir que tu vas te planter, que le moment fatidique approche. Et quand tu t’es finalement scratché le cœur sur l’asphalte, tu passes par tous les stades du deuil que l’on connaît — et que je ne réciterai pas ici parce que c’est l’heure de mettre un stop à toute cette déprime.
Essayons d’analyser ces situations de façon plus rationnelle. Qu’est-ce qui fait que nous nous sommes investis jusqu’à la dernière seconde, jusqu’à la dernière respiration avant de se noyer dans des relations qui ne nous conviennent pas? Pourquoi est-ce que les gens sensés, intelligents et indépendants s’obstinent à aimer désespérément, jusqu’à la dernière goutte?
Après avoir traversé toutes les étapes du deuil à quelques reprises, moi aussi, j’ai beaucoup réfléchi à la question, parce que c’est très frustrant de se sentir bafoué quand on aime sincèrement, avec tout son cœur. Les gens qui vous tiennent en haute estime vous diront que « elle ne te méritait pas de toute façon! », « il ne t’a jamais rendu ce que tu as fait pour lui! » et autres variantes. Mais cette certitude que quelque chose sonne faux dans ces allégations préfaites demeure toujours.
Ça m’a pris beaucoup de temps, d’interminables discussions et une quantité phénoménale de chocolat pour finalement en arriver à la conclusion suivante : on tombe amoureux d’un scénario. On tombe amoureux de l’image qu’on se fait de notre relation. On tombe amoureux de nos attentes et du potentiel qu’on voit chez l’autre. On tombe infiniment plus souvent amoureux de tout ça que d’une personne pour qui elle est réellement et simplement. Ça se fait de la façon la plus naturelle qui soit puisque, bien entendu, on s’imagine toutes sortes de choses lorsqu’on tombe amoureux. On façonne notre histoire et on l’aménage pour s’y sentir bien. Cette forme de déni, aussi doux et bien intentionné soit-il, occasionne tellement de frustrations quand on s’aperçoit que la personne qu’on aime ne met pas la moitié de l’effort qu’on a investi soi-même. Il faut alors se poser les bonnes questions.
Pourquoi est-ce que la personne que j’aime ne se rend pas compte de tout ce que je fais pour elle? Peut-être parce qu’elle n’a rien demandé de tout ça. Peut-être parce que j’en fais trop, que je l’étouffe.
Pourquoi est-ce que l’autre ne comprend pas mes frustrations? Peut-être parce que leur développement se fait dans ma tête, parce que je ne les ai pas assez exprimées au quotidien.
Pourquoi est-ce que je me sens pris dans un rôle que je n’ai pas envie de jouer (métro/boulot/dodo, lourdeur du quotidien)? Peut-être parce que j’ai cru de mon devoir de le faire, mais que ce n’était pas une attente partagée.
Si vous perdez de vos couleurs, que la vie vous semble lourde, que vous vous sentez seul-e à ramer dans votre couple, mais que vous avez tout de même l’intime conviction d’avoir choisi une bonne personne, il serait sage de vous demander si vous n’êtes pas en train de saboter vous-même votre scénario parfait. Prenez moi par exemple. Je réussis à entretenir des relations très saines avec la plupart de mes ex. Je m’en fais parler souvent, car certains d’entre eux sont mes amis les plus proches aujourd’hui. Je me suis rendu compte qu’il est beaucoup plus simple d’aimer les gens pour qui ils sont du mieux qu’on peut et d’arrêter de se faire des scénarios. Avant de me fâcher contre la personne que j’aime aujourd’hui, je me questionne à savoir si je vis une déception par rapport à elle, ou à l’attente que je me suis créée. Même chose quand je vis un deuil : est-ce que l’autre me manque vraiment, ou est-ce que nos souvenirs et le scénario sur lequel j’ai fantasmé me rendent nostalgique?
On apprend, on vieillit, on mûrit, on aime… toute notre vie!
Faut pas lâcher, les crépu-e-s!
AA ♥