Un bon livre young adult est toujours constitué de trois actes.
Le premier est appelé le « gage » : on nous présente une situation accessible, un contexte confortable dans lequel on s’installe avec une aisance harmonieuse. En l’espace de quelques pages, on s’insinue dans ce cadre qui nous est familier, qui nous parle.
Mais évidemment, ce n’est pas assez, et pour maintenir notre attention, il sera nécessaire d’entamer le second acte : le « tour ». L’auteur, à partir de ce cadre tout à fait ordinaire, le transforme en un univers qui va nous sembler extraordinaire, enivrant, difficile à quitter. On se laisse alors emporter par ce courant frénétique, qui parvient à nous séduire tout au long de la lecture.
Toutefois, une part de nous demeure insatisfaite, celle qui a hâte d’aboutir à la fin de l’histoire, pour voir si tout cela en valait la peine. C’est pourquoi chaque livre présente un troisième acte : le « prestige ». Un aboutissement qui va persuader les lecteurs que l’aventure qu’ils viennent tout juste de vivre était digne d’être vécue. Une chute qui va surprendre, choquer, émerveiller, faire en sorte que le lecteur va émerger de sa lecture avec de fortes émotions.
Bon, après cette belle introduction (effrontément inspirée du livre de Christopher Priest, The Prestige), je vous raconte une anecdote bien triste. Des livres young adult, j’aime bien ça, et avoir un goût pour ce genre de livres, ça n’empêche pas d’aimer également la littérature classique, les écrits philosophiques, bref, des trucs tenus en meilleure estime, mettons. Mais à chaque fois que je m’apprête à acheter ou à emprunter un livre de ce type, je suis envahi par une sorte de gêne profonde, comme si tous les gens autour de moi s’étaient mis à me juger de façon péjorative, parce que j’avais osé commettre un tel sacrilège, tout comme si je me mettais à poil en plein milieu de la librairie.
Bon, c’est un peu extrême, mais l’essentiel est là. C’est sûr que ça aide pas d’être un gars qui fait 6 pieds 3 pouces, mais tout de même, les critiques des livres de type young adult fusent de partout : « c’est toujours la même chose. », « c’est totalement irréaliste et c’est écrit pour plaire aux fans », « c’est des histoires d’amour quétaines, on a déjà vu, lisez donc quelque chose de plus sérieux et pédagogique, merci bonsoir ».
Face à ces critiques, je vais faire une petite apologie de la littérature « jeune adulte » en commençant par détruire ces paroles profanes. D’abord, dire que ce type de livres n’est pas conforme à la réalité, ce n’est pas tout à fait faux, mais dans une certaine mesure seulement : le plus souvent, il s’agit uniquement de l’univers en arrière-plan qui peut être qualifié d’irréel. C’est sûr que lorsqu’on se retrouve avec une dystopie à la Hunger Games ou The Maze Runner, difficile de coller ça avec notre monde qui n’est pas (encore) sous un régime totalitaire ou victime d’une quasi-extinction causée par des éruptions solaires. Mais, ce qu’il est important de retenir ici, c’est que la présence ou l’absence de réalisme sur le plan du contexte n’affecte en aucun cas la qualité elle-même du livre. Hunger Games a beau se dérouler dans un monde dystopique dévasté par la guerre, il n’en résulte pas moins que la trilogie profite de cette occasion pour aborder des thèmes tels que la déshumanisation et la corruption politique, dans un format remis au goût du jour, alors que 1984 de Orwell ne fait plus peur à personne.
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Ça m’amène aussi à parler d’un point important que peu de gens qui se sont donnés à cœur joie à la critique ont su soulever : la plupart des livres young adult se fondent sur des thèmes et enjeux importants. Cette fondation, c’est la guerre dans Hunger Games, le racisme sous plusieurs formes dans Harry Potter, la maladie dans The Fault in Our Stars, les fondements d’une relation amoureuse dans An abundance of Katherines. Ou, si vous préférez, des concepts et enjeux que les adolescents gagneraient à comprendre pendant leur développement.
J’en arrive à mon second point : penser que les livres « jeunes adultes » sont un divertissement bas et médiocre, c’est refuser d’admettre une évidence. Cette littérature possède une dimension éducative non négligeable et facile d’accès, destinée au lectorat principal de ces ouvrages : des adolescents et jeunes adultes (c’est le cas de le dire), tout pleins d’hormones, en quête d’aventures… C’est justement à cet âge que nous sommes exposés à beaucoup de « première fois », que cela soit sur le plan amoureux, émotionnel, psychologique ou comportemental. La littérature young adult constitue justement l’outil parfait pour explorer ces phénomènes, et ce, de façon totalement sécuritaire.
Voilà donc une autre dimension de leur valeur éducative – renseigner sur des phénomènes comme le suicide, la drogue, la violence, l’amour, le sexe… épargnant aux lecteurs le besoin de les expérimenter dans la vraie vie (ce qui pourrait être très problématique). Ces romans proposent également des exemples de comportements « ordinaires » aux lecteurs afin que ces derniers puissent en quelque sorte se construire un « modèle » sur lequel ils peuvent ensuite se baser pour établir un regard critique sur leur propre personnalité et façon d’agir.
En bref, la littérature pour jeunes adultes est à la fois un canevas auquel le lecteur du même âge peut s’identifier sur le plan émotionnel, et constitue aussi un environnement sécuritaire dans lequel celui-ci peut s’éduquer sur différentes notions au cœur de sa vie actuelle. Et je pense que les adultes ont eux aussi besoin de ces deux éléments. À vingt ans, on a encore besoin de ce guide de repères, ce compagnon sur lequel on pourra toujours se replier.
Alors, je m’assume. La prochaine fois que je vais passer à la librairie, je brandirai fièrement le bouquin que je tiendrai en main, que ce soit A brief history of time (du physicien Stephen Hawking) ou The Book Thief (mon fétiche de l’écrivain australien Markus Zusak).
Par Foan Song
Geneviève Lamoureux