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Cher Papa,
Bientôt, ça fera 3 ans que tu es mort. Je sais que tu es parti parce que tu n’en pouvais plus de souffrir de la maladie. Trois ans que tu me manques, que mon père n’est qu’un souvenir. J’aimerais te parler, te voir, te sentir. Je ne l’ai pas fait assez souvent, je n’ai pas la chance d’avoir un over d’amour paternel à épuiser depuis que tu es parti. Papa, fallait que je te dise que je t’aime.
C’était la fête des mères, en fin de soirée, tu m’as appelé. Cette conversation sera gravée dans mon âme, dans mon cœur, jusqu’à ce que je sois rendue à mon dernier souffle. Cette conversation a été notre dernière. Mais, d’une toute autre manière, elle fut la première. Pour la première fois de notre vie, nous avons enfin ouvert nos portes, celles de nos cœurs. Tu m’as dit que tu m’aimais, en pleurant. C’était la fois que tu m’as avoué ton amour de la manière la plus sincère que je n’avais jamais entendue. On aurait dû faire ça bien avant non? Juste se dire qu’on s’aime, pas juste pour être gentil, juste parce qu’on s’aime. On a perdu trop de temps à faire semblant.
Notre ressemblance a créé notre différence. On était tellement semblables, on ne savait pas comment gérer notre amour mutuel. On n’avait jamais rien à se raconter, on ne se comprenait pas ni un ni l’autre. Comme si tu parlais en mandarin et moi en russe. On ne s’aidait pas non plus en tournant en rond l’un autour de l’autre. J’étais amère, toi aussi, mais en silence. Un père c’est le premier amour de sa fille, moi, le complexe d’Œdipe je l’ai pas vécu, t’étais pas là pour que je puisse le vivre…. Je ne savais pas comment t’aimer, je ne te connaissais pas.
Tu m’as toujours manqué, depuis mon enfance à aujourd’hui. Je t’attends encore à tous les spectacles, remises de bulletins, anniversaires que j’ai pu avoir. Le nombre de promesses oubliées… Quand je suis devenue grande, tu m’as ouvert les bras, mais c’est moi qui t’ai fait attendre, c’est moi qui t’ai promis des choses que je n’ai jamais réalisées.
Tu m’as annoncé ton cancer. Un cancer généralisé stade 4. Tu commençais ta chimiothérapie. Papa, pour moi, tu étais l’homme le plus fort au monde, c’est normal tu étais mon père. Tu es passé de cet homme fort, à celui que je borde dans son lit d’hôpital. Tu étais maigre, souffrant, faible, fatigué. Je te regardais, avec un nœud dans la gorge, je m’obligeais à te sourire, à faire comme si rien n’était. Je te voyais mourir tranquillement, sans pouvoir rien faire. Tout ce que je pouvais faire c’était m’assoir à tes côtés, te tenir doucement la main en attendant. Mais quand je te voyais, j’ai découvert qui tu étais, un peu, en dehors de mon père ou de la personne malade. J’ai vu ton être au premier degré, sans décorum. On était là, juste toi et moi à regarder le fleuve par la fenêtre, on se disait rien, comme d’habitude, mais on était vraiment ensemble pour une fois.
J’ai appris à t’aimer dans la maladie et je m’excuse de ne pas avoir été avec toi plus souvent. Je t’avais caché que je faisais une dépression, j’avais peur qu’encore une fois on ne se comprenne pas. Et la douleur que je ressentais était tellement intense que je l’évitais. Ce n’est pas toi que j’évitais, j’avais envie de regarder dans tes yeux, de te sentir près de moi. Mais la dépression me grugeait vraiment fort papa, j’avais de la misère à supporter la tristesse que j’avais quand je voyais ton cancer te tuer.
Osti de cancer.
J’avais appris à t’aimer, mais mal. J’imagine que c’était la même chose pour toi quand j’étais plus jeune, tu ne savais juste pas comment, mais tu m’aimais. On a raté quelque chose d’important, nous.
J’aimerais tant avoir une deuxième chance. Que notre dernière conversation devienne vraiment une première. J’aimerais réentendre ton « je t’aime ». Que tu me dises que tu es fier de moi. Que tu voies la femme que je suis devenue avec le temps. Que tu prennes ma fille dans tes bras.
J’ai toujours voulu que tu sois fier de moi, tu étais ma structure, je voulais te prouver, me vendre moi-même. Quand tu es parti, mes clôtures se sont effondrées. C’est comme si tu partais avec la seule perception qui m’importait. Celles des autres n’étaient que secondaires, ceux qui restaient m’aimeraient inconditionnellement. Pas toi. Ma vie a pris le bord, je tuais ma vie, moi-même, j’ai essayé de me punir d’avoir gaspillé mon père. Il n’est pas possible de ravoir un père quand le vrai est parti. J’ai vécu une relation père-fille avec des gens de ma famille. Et je m’y attache, je ne veux pas la reperdre, mais jamais ces gens pourront te remplacer. Tu étais le seul que j’ai appelé papa.
Je vois des gens faire notre erreur encore papa, et cela m’attriste. J’aimerais les aider à tendre leurs mains pour ne pas avoir la peine que j’ai aujourd’hui. Qu’ils essaient de voir leurs parents comme j’ai pu te voir, à travers l’amour que tes yeux m’apportaient. Réussir à mettre de côté nos haines et nos remords qui ne servent à rien à l’intérieur d’une vie. Juste se voir, se parler, se regarder, que tu m’écoutes, juste prendre un verre de trop, que tu rénoves ma maison avec moi, que tu berces mon enfant, qu’on danse ensemble à mon mariage. Il y a des soirs que j’aimerais te dire à quel point ma vie est merveilleuse, il y en a d’autres que j’aimerais me laisser pleurer dans tes bras.
Je voudrais juste être ta fille encore un peu.
Je voudrais juste que tu sois vivant et que tu lises ce texte.