Salut p’pa. Allô papa. Bonjour le père!
Je te l’avoue, je ne sais pas trop comment commencer ça. Moi, je suis douée pour écrire des textes, pas des lettres. Mais fallait que tout ça sorte sur papier un jour ou l’autre. Il y a des mots qui cherchaient un bout de papier où se poser depuis déjà trop longtemps.
Je m’excuse d’avance pour ce début de lettre qui sera peut-être un peu rough, mais il y a des choses qui n’ont jamais été dites, et qui, une fois expliquées, te permettront peut-être de mieux comprendre pourquoi notre relation ne ressemblera probablement jamais à la relation père-fille parfaite qu’on voit dans les films. Quand j’étais plus jeune, j’ai essayé fort de t’aimer autant que maman. Chaque fois qu’on me demandait à la blague « Qui t’aimes le mieux de tes parents? », je disais toujours les deux, mais uniquement pour ne pas te faire de la peine. Encore aujourd’hui, à 20 ans, je me rappelle très clairement que déjà à un très jeune âge j’avais ce type de raisonnement. Ensuite, il y a eu une certaine période où j’ai eu peur de toi. J’associais le mot papa à la crainte et à la colère. Maman a toujours été là pour essayer de me raisonner et me faire comprendre que tes gestes et tes paroles n’avaient jamais pour but de me blesser. Pour m’expliquer que, étant donné que nous avions tous les deux nos petites « bibittes » et nos problèmes, c’était bien normal qu’il y ait des flammèches lorsqu’on se retrouvait dans la même pièce. Ce n’est toutefois qu’avec le temps et en grandissant que j’ai su comprendre tout ce que maman m’expliquait. Parce que jamais elle n’a essayé de me mettre contre toi. Jamais.
L’été dernier, j’ai essayé un truc un peu farfelu, un peu hors du commun, et qui me rendait plutôt sceptique. J’ai consulté une voyante. Elle m’a demandé de lui poser deux questions auxquelles elle répondrait au cours de la séance. L’une d’entre elles était : « Est-ce qu’un jour je vais bien m’entendre avec mon père? » À cette demande, elle m’a sorti une très longue explication, qui se résumait facilement à : « Commencez par être des amis. » Depuis cet après-midi-là, j’ai beaucoup réfléchi à ce que la voyante m’avait dit.
Je suis plus que consciente que nous avons perdu plusieurs années à essayer de nous rapprocher en essayant de ressembler le plus possible à ce dont une relation père-fille « devrait » avoir l’air. Tu sais, ce n’est pas tout le monde qui est fait pour être père ou être mère. Cela n’affecte en rien la capacité à aimer ses enfants à la folie. Je crois simplement que certaines personnes ont besoin d’apprendre un peu plus et que le côté parental leur vient un peu moins naturellement que chez d’autres. C’est un peu pourquoi la voyante disait que nous devrions commencer par être amis. Parce que plutôt que de se forcer à essayer d’être quelque chose que nous avons de la difficulté à être, nous devrions simplement nous considérer comme deux amis. En étant amis, nous laissons place à une plus grande ouverture sur le plan de la compréhension. De cette façon, je pourrais t’apprendre et te montrer ce que j’espère voir chez un père. Il me semble aussi plus facile d’oublier le passé un peu houleux que nous avons eu. En étant amis, nous avons la chance de reprendre à zéro sur beaucoup d’aspects, et je crois que je saurai être une bonne amie capable de te guider vers le père que tu sais être, mais que tu as encore un peu de difficulté à incarner.
Ce n’est certainement pas sans voir tous les efforts que tu as su faire ces dernières années que je t’écris cette lettre. Parce que c’est aussi un peu grâce à ces petits efforts venant de toi que j’ai pris en considération ce que madame la voyante m’avait dit cet après-midi d’été. Si nous n’avions absolument aucun chemin de fait jusqu’ici, j’aurais probablement jeté le tout à la poubelle. Mais je sais que le changement est possible, car je l’ai vu en toi.
Je n’arrêterai pas de dire que tu es mon père pour autant, ne t’inquiète pas avec ça, mais si tu le veux bien, papa, commençons par être amis.
Cocotte
Par Maude Prévost
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