Guy,
Lorsque j’étais petite et que je faisais quelque chose qui décevait mes parents, ils me disaient, avec un ton désolé et des points de suspension lourds comme ma culpabilité : « Marie, Marie, Marie… » Je savais alors que j’avais fait une bêtise. Une méchante grosse bêtise.
Mais toi, t’as fait pire que ça, Guy, tu as tué tes enfants. Enlevé deux vies avec quarante-six coups de couteau, pour un homme qui a l’habitude de les sauver, il y a de quoi être déçu de toi.
Je me souviens avoir vu la nouvelle qui te concernait au bulletin télévisé, aussi clairement que je me souviens d’où j’étais le 11 septembre 2001. Je me souviens surtout de l’étonnement ressenti quand j’ai su que tu étais médecin.
Médecin, Guy. Un des grands privilégiés de la vie, quoi. Tout à coup, la souffrance n’était plus seulement pour les défavorisés et la classe moyenne; elle affectait également des gens instruits qui n’avaient que peu d’inquiétudes financières (en tout cas, toi, je suis sûre que tu n’as jamais eu à compter tes sous pour faire l’épicerie).
J’avoue que depuis que tu as fait ça, j’ai développé une obsession sur ton cas. Je voulais savoir pourquoi quelqu’un qui a tout pour lui en vient à péter les plombs de la sorte. J’ai suivi tes deux procès, j’ai fait plusieurs recherches et collectionné beaucoup d’articles qui parlaient de toi. Je voulais comprendre, alors j’ai essayé de me mettre dans les souliers d’un peu tout le monde.
Comme je suis maman, j’ai pensé à tes enfants. Deux petits amours qui, en plus d’être nés dans une famille privilégiée, étaient beaux et en santé. Deux petits trésors qui auraient eu toutes les chances du monde de devenir à leur tour de grands acteurs de la société. Mais non. Plus maintenant. Ils ne sont plus que deux petits corps mutilés pourrissant dans une boîte à 5000 $ sous une terre gelée. Deux existences réduites à se conjuguer au passé. Comme la tienne d’ailleurs.
Ta vie s’est terminée le 20 février 2009. Tu es mort, maintenant. Tu ne seras plus jamais amoureux, plus jamais époux, plus jamais père et plus jamais médecin. Depuis dimanche matin, Guy, tu es un criminel, et juste ça. Un criminel qui va coûter cher à notre société. Un criminel dénombré cinq fois par jour. Un criminel qui aura peut-être le droit de réintégrer la vraie vie – l’existence qui aura passé sans toi – si tu es très, très gentil, dans 10 à 25 ans. Un criminel qui le restera jusqu’à la mort à cause du mot meurtre. Même si c’était impulsif, ça reste un meurtre.
Je pense à ta vie gâchée et à toutes celles que tu as bousillées. Je ne consacrerai que peu de mots à ton ex, parce que la province entière a envie de la prendre dans ses bras, car tout le monde sait que même si le fait de te tromper n’était pas correct, le châtiment est disproportionné vis-à-vis de la faute. Je pense aussi à tes parents vieillissants qu’on a vus souvent dans les nouvelles. Ta maman qui marche avec une canne et qui a reçu comme une claque, toutes ces fois où on a passé des menottes à son garçon. Son fils, jadis médecin, dont elle devait être si fière. Ton père qui t’a probablement donné l’image qu’un gars, c’est fort et ça braille pas, comme tant d’hommes de cette génération. Dans son silence, il s’en voudra probablement jusqu’à la mort d’avoir espéré que le temps ferait son œuvre et te guérirait de tes blessures, en cette nuit froide de février 2009, alors que tu aurais sans doute eu tant besoin qu’il saute dans sa voiture en pyjama et te sauve de toi-même. Tous les deux n’y peuvent plus rien désormais, et c’est là le pire constat d’échec pour des parents.
Mais je ne te juge pas, Guy. Je me trouve chanceuse que la tâche de te juger ne soit pas tombée sur moi. Si je ne te juge pas, c’est parce que j’en ai déjà vécu une grosse peine d’amour comme la tienne. Je ne te juge pas, parce que moi non plus, je n’étais vraiment pas solide quand ça m’est arrivé. Parce que moi aussi, j’en ai vécu un « trouble d’adaptation avec humeur anxio-dépressive » quand mon ex m’a laissée pour quelqu’un avec qui il me trompait depuis déjà un moment, et ce, au vu et au su de nos collègues de travail. Avec quelqu’un de proche, également. Je ne te juge pas, parce que j’en ai écouté, des chansons tristes qui me renvoyaient ma vie « écrapoutie » en pleine face. Je ne te juge pas, parce que je sais quel genre de pensées déraisonnables peut nous passer en tête quand on souffre.
Je ne te juge pas, Guy, je suis juste déçue. Déçue de voir que j’ai tenu bon et que toi qui aurais pourtant tout eu pour te retenir, tu as basculé vers le Mal. C’est possible de se relever de ça, Guy. Ta mère avait raison, si je me fie à son témoignage, quand elle t’a dit que les choses se replaceraient. Le temps aurait fait son œuvre. Avec une méchante bonne thérapie, beaucoup de moments de malaise avec ton ex et encore plusieurs chagrins à surmonter, tu aurais retrouvé l’amour un jour. Parce qu’il parait que tu étais un bon gars, et parce que, de toute évidence, tu es intelligent.
Je ne te connais pas et je ne connais pas ton ex, mais je ressens le besoin de t’écrire, de jeter ce que je ressens sur la Toile, que tu le lises un jour ou non, parce que ce que tu as fait m’affecte, Guy. Parce que j’aurais vraiment envie, parfois, de te regarder en pleine face, un poing sur les hanches, l’index levé et après un long soupir, te dire tout simplement Guy, Guy, Guy…
Par Marie-Ève Poulin