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Les privilèges, par une grosse femme blanche

Les privilèges : c’est une découverte pour beaucoup de gens, ces temps-ci. Ça m’étonne assez, d’ailleurs, parce que c’est le terme à privilégier (tou-toum-tish !) pour expliquer un concept qu’on connait depuis longtemps : on ne commence pas tous et toutes notre vie avec le même nombre de prises au bâton.

Un privilège, c’est quelque chose que tu… as. Tu n’as pas travaillé pour l’avoir, tu n’as pas demandé à l’avoir, mais tu l’as. Et ça te confère un avantage dominant par rapport à celles et ceux qui ne l’ont pas.

Un privilège, c’est pouvoir remplir un questionnaire médical pour une nouvelle job sans avoir à donner la date de tes dernières règles et sans avoir à indiquer si tu es enceinte. C’est aussi pouvoir marcher dans l’obscurité sans serrer très fort ton trousseau de clés (male privilege).

Un privilège, c’est pouvoir aller dîner au resto avec une amie sans paniquer à la vue des chaises soudées au sol. C’est aussi ne pas recevoir des commentaires désobligeants et non sollicités sur les aliments que tu mets dans ton assiette sous prétexte qu’on se soucie de ta santé ou de ton indice de « fourrabilité » (thin privilege).

Un privilège, c’est pouvoir dire à des collègues que ton amoureuse a veillé sur toi pendant ta convalescence sans ajouter plus tard à l’une d’entre elles, sans oser la regarder dans les yeux : « J’espère que j’ai choqué personne en disant ça… » C’est aussi pouvoir te marier avec la personne que tu aimes (heterosexual privilege).

Un privilège, c’est pouvoir te déplacer à ta guise sans penser ton trajet en fonction de l’aménagement des bâtiments ou de l’accessibilité des transports. C’est aussi pouvoir aller aux toilettes chaque fois que tu en as envie (ability privilege).

Un privilège, c’est pouvoir déclencher une alarme et faire une blague de vol qui fait rigoler la caissière, qui répond : « Inquiétez-vous pas madame, vous avez pas l’air de ça ! » C’est aussi pouvoir flâner dans un populaire magasin de produits cosmétiques sans toujours avoir un.e employé.e qui te suit pas à pas (white privilege).

Un privilège, c’est pouvoir appeler dans une ligne ouverte, s’appeler Christian, s’exprimer dans un très bon français, dire deux (semi) vérités, un énorme mensonge et les auditeurs.trices prendront nos propos pour une vérité scientifique parce qu’ils et elles s’imaginent qu’on est un homme blanc éduqué entre 40 et 60 ans (male privilege, white privilege, class privilege, age privilege).

Un privilège, c’est tout ça et plus encore. Dans les derniers siècles, on a construit un monde dans lequel on accorde des points imaginaires à des gens pour des trucs sur lesquels ils n’ont pas de contrôle, comme la couleur de leur peau, leur pénis ou leur capacité à marcher sur leurs deux jambes. C’est tellement bien ancré en nous qu’on n’y pense même pas. Ces points et ces privilèges sont hiérarchisés plus ou moins aléatoirement selon nos préjugés personnels (par exemple : homme blanc > homme blanc homosexuel > homme racisé > femme > femme ayant une déficience intellectuelle, etc.). Ils sont interreliés, aussi : ils s’additionnent, ils se multiplient… ils se soustraient. Christian, par exemple, a clairement gagné le jackpot des privilèges. Ça ne veut pas dire que sa vie sera toujours facile, qu’il n’aura jamais à travailler pour obtenir ce qu’il désire ou qu’il ne lui arrivera aucune marde ; ça veut juste dire que ces mardes et ce travail ne seront jamais, jamais induits par la couleur de sa peau, par son âge, par son genre ou par sa classe. Inversement, une grosse femme noire devra toujours avancer « contre » ces trois non-privilèges. Toute sa vie, elle sera confrontée à du racisme, du sexisme et de la grossophobie et chacune des situations sera teintées des deux autres : c’est ce qu’on appelle l’intersectionnalité.

Un privilège, ça ne fait pas de nous une mauvaise personne. On n’a pas à s’excuser ou à porter toute la souffrance du monde sur nos épaules. Mais ce serait bien qu’on écoute. Qu’on apprenne. Et qu’on travaille à construire un monde où on n’accorde plus de points bonus imaginaires qui font avancer des gens qui ne devraient pas toujours se rendre aussi loin et qui font stagner d’autres gens qui auraient le potentiel pour avancer encore longtemps. Checke tes privilèges. Paix et amour.

Source: Gia Oris (Unsplash)

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