Elles sont la couleur (espèce de grisaille rouillée et asphaltée), l’arrière-scène vivante et authentique, le vieux visage et l’âme de Limoilou. Elles sont mythiques. La littérature locale s’en est emparée comme on s’empare d’un «snack» Pierrot en fin de soirée (inside de limoulois). Blague à part, l’analogie tient la route. Esthétiquement repoussantes à première vue, elles peuvent même inspirer la crainte une fois la lumière du jour tombée. Mais il faut plonger dedans à grande fourchette, y vivre des expériences grand format et ne pas avoir peur de se tacher pour pleinement goûter la saveur du plus fameux des plats locaux.
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En leur sein, pas de fioritures, sinon des nids de poule à chaque deux mètres; pas de symétrie entre les lignes que découpent les balcons, les galeries, les escaliers, les fils électriques, les corde à linges, etc.; pas d’harmonie dans le choix des matériaux ni dans les textures; pas d’époques à proprement convoquées dans ce fatras qui perdure d’hier à aujourd’hui. Les ruelles de Limoilou n’ont, à toute fin pratique, rien pour elles. Rien, sinon cette extraordinaire vitalité, cet orgueil mal placé de ceux qui y résident avec vénération, cet attachement indéfectible né de scènes mémorables dans lesquelles la ruelle était tout le théâtre, toute la surprise, toute la magie. Elle n’a rien sinon cette bariolure baroque, ce dédale de passages et de recoins et ce joyeux chaos vivant qui l’anime.
Je vous parle d’un royaume qui n’est pas seulement celui de l’homme, je vous parle d’un sanctuaire à matous. Là, il fait bon de se promener avec des minouches pour chats, de se pencher sous les voitures et d’aventurer son regard sous les galeries pour trouver de petites boules de poil aux yeux jaunâtres lors des nuits sombres. Un univers rampant, furtif, agile et gracile s’organise dans ce petit fouillis urbain. Vivre à Limoilou, c’est aussi et surtout être le copropriétaire, le co-amoureux de centaines de chats. Mon quartier, c’est l’amour au temps des gouttières, c’est l’art de faire des promenades sans jamais véritablement être seul. Dans le clair de lune des cœurs brisés, les petits miaulements réconfortent et se pelotonnent contre nos cœurs en miettes.
Source; page couverture d’un livre-photo créé par Geneviève LeSieur
Il y aurait des peintures et des peintures à faire pour représenter l’esprit des passages cachés de ce vieux quartier de Québec. C’est qu’ils sont déjà un décor en soi, une poésie urbaine, un art qui s’élabore dans l’espace, bref, un musée vivant. Mais, ce qui fait la véritable force de ce petit bout de pays, ce sont les gens qui se sont approprié cet espace insolite. Les témoignages d’amour sont contagieux et nombreux. Un parcours poétique y a d’ailleurs pris place, il y a de cela quelques années. Chaque été, le grand bazar des ruelles fait bourdonner le quartier et fait découvrir l’art du bon voisinage à toute la région. Mais plus encore, les projets de revitalisation, de jardins communs et l’aménagement d’espaces communs essaiment et donnent tout son sens au bien-vivre ensemble. Comme quoi le voisin n’est pas toujours un ennemi, mais un partenaire, un co-rêveur, un bon buveur social. Et puis, les parcs et les espaces de jeux assurent la pérennité de l’amour entre les lieux et les humains. Ils donnent au quartier un son enjoué, criard, bien vivant.
Source; peinture de Littorio Del Signore
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Espace de fierté, espace de partages, espace de rêveries, de poésie, de photographie, de peinture, d’amitiés inusitées, les ruelles de Limoilou étendent plus que jamais l’aspect mythique qui les entoure.
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Photo de couverture : source