Je descends les marches, pousse sur la lourde porte et me ramasse sous le ciel de juin. Il fait beau et chaud. L’air est encore humide du matin. Un peu comme moi, dans l’fond. Les oiseaux chantent. Le soleil plombe. J’ai un trou aussi gros que la Saskatchewan à la place du cœur. Je ne savais pas que c’était possible d’avoir autant mal et d’être encore vivante. C’est presque un accomplissement, quand on y pense. Je pourrais recevoir une médaille pour ça. Si survivre à une autre nuit avec un garçon qu’on aime, mais qui ne nous aime pas, était une épreuve olympique, j’en serais la Michael Phelps. C’est drôle, dit comme ça, mais c’est triste aussi. Je pense que Michael était un peu plus fier.
Deux dames parlent en prenant un café sur une terrasse encore endormie. Il est trop tôt pour les hipsters. Elles me regardent avec un mélange d’envie et de dédain.
« J’aimerais bien être à la place de cette jeune qui vient de fourrer toute la nuit, mais ça fait donc pas de classe de se promener dans la rue, habillée comme la veille.»
Je suis d’accord avec vous sur ce point, mesdames ; ce matin, je manque de classe. Pour ce qui est du fourrage, par contre, je ne suis pas certaine que vous voudriez vraiment être à ma place. Le temps d’une nuit, surement. Après, j’en doute. Il y a des choses que même une nuit de sexe torride n’arrive pas complètement à effacer.
Je m’éloigne des dames en sentant leurs yeux qui brûlent la base de ma nuque. Je me demande si mon maquillage a coulé, si j’ai du mascara sur mes joues, sur mon linge, s’il y en a sur son oreiller. Je ne l’espère pas, parce que je serais gênée, mais, en même temps je serais contente d’avoir laissé une trace. Tacher ses draps à défaut de son cœur. Le forcer à frotter pour nettoyer à défaut d’avoir à se forcer pour m’oublier. Ça, ça va se faire tout seul.
Ouain, plus j’y pense et plus je me dis que j’aurais aimé laisser une grosse tache, le genre qui reste. Une marque indélébile, un tatou à l’encre rouge, quelque chose de vif et de flamboyant. De douloureux, aussi. Ça reste toujours plus longtemps quand ça fait mal. J’aurais aimé lui marquer la chair comme ils le font dans les livres érotico-sensuels qu’on trouve toujours dans les aéroports – t’sais, ceux avec un homme ben musclé en train de montrer son mamelon sur la page couverture? Le problème, c’est que j’aurais aimé le faire, mais je ne suis pas équipée pour ça. Il me l’a dit dès le début. Pas comme ça, ce n’est quand même pas un trou de cul fini, mais il m’a dit que ça ne marcherait pas. À sa défense, il m’avait averti. Ils se déculpabilisent toujours en disant qu’ils nous ont avertis. Comme si ça changeait quelque chose. Pourtant, on sait tous comment ça fonctionne. Il me dit que je suis nice, mais que ça n’ira pas plus loin, mais que je suis belle pis qu’il a envie de moi. Moi, j’ai fait semblant que ça ne me dérangeait pas. Pire, j’ai fait semblant que ça me suffit. D’où le trou grandeur province canadienne au milieu de mon chest.
C’est peut-être moi la conne dans tout ça. Lui, c’est le méchant et moi, la conne, c’est comme ça que ça marche, non? Il me brise le cœur et je le laisse faire. On est surement un peu coupable tous les deux. Je ne sais pas s’il réalise ce qu’il m’a fait : s’il ne s’en rend juste pas compte ou s’il s’en fout. Je ne sais pas non plus ce qui serait pire. La première option voudrait dire que, vraiment, je n’ai aucune chance. La deuxième signifierait qu’il est vraiment une mauvaise personne. La première est plus douloureuse, mais la deuxième me rendrait doublement conne. Qui tombe amoureuse d’une mauvaise personne?
J’arrive chez moi. Je kick mes souliers dans l’entrée, perds la jupe dans le passage, le chemisier dans le cadre de porte, la bralette dans l’évier. L’eau froide de la douche coule noire à mes pieds. J’avais vraiment du maquillage partout, mais ça part tout seul. Ça part sans même que j’aie besoin de frotter.
Source