Source
Mes fenêtres sont grandes ouvertes.
Là, encore, elles le sont.
Plaisir coupable numéro un de l’été.
Peu importe le temps – même s’il fait frette et que j’ai frette, là, tout de suite –, elles sont ouvertes.
J’me fou de chanter fort, de répéter trop fort 10 fois le même monologues de théâtre, de rire trop fort avec mes amis sur la terrasse. L’été est fait pour être bruyant et se faire entendre.
Tu m’entends-tu quelqu’un? Écoute-moi, svp? J’ai ma petite vie à te faire entendre.
Je sais que partout autour, les fenêtres seront ouvertes afin de capter mes morceaux de vie en « trop ». Chez nous, en haut en bas, chez les voisins d’à côté, partout dans la rue.
C’est une célébration bruyante qui revient toujours – on s’en lasse jamais.
Peu importe si je suis à la maison, ou non. J’ai confiance : personne ne viendra.
L’air a besoin de se bouger un peu, de sortir faire un tour – les fenêtres grandes ouvertes.
D’enlever la moiteur de draps, laissée par la nuit. De fuir l’odeur du chat. De quitter celle de l’essence des voitures qui démarrent. L’air a besoin de se bouger un peu, pour apporter de nouvelles odeurs. Celle des tomates confites et du basilic. Puis, gazon mouillé et l’odeur des vers de terre.
Du linge qui sèche raide su’a corde, dans cour en arrière.
J’aime surtout le mouvement du rideau qui sait plus quoi faire, pogner dans l’vent. Ben énervée comme une grosse girouette de tissu. Pis y’a le vent, dehors, qui l’inspire et qui l’expire. Leur lutte, quand y’a des orages surprises de fin d’après-midi. Qu’ils se fouettent fort, mettent le chat en panique, mouillent le plancher du salon su’l sens du monde – ben oui, c’est la vie. Le prix à payer pour la vie.
Le prix à payer pour la vie – c’est pas cher l’été.
Dès que l’été revient, j’men fous. J’me fous du plancher mouillé pis du silence et du calme et de la solitude.
C’est un compromis qui se fait en moi. Comme si ces choses-là ne pouvaient simplement pas exister l’été. C’est reporté, mis sur pause, à plus tard, à voir avec le retour de l’automne. Oui, c’est ça. Des vacances de silence, de calme et de solitude, on se revoit à la rentrée, en septembre.
Parce que je sais que je ne pourrais pas arrêter la vie qui passe, en bas.
J’peux rien contre le ballon de basket, direction parc Victoria.
Rien contre la musique du voisin qui écoute toujours du Elvis et ABBA. Moi aussi, j’aime ça – même si j’en écoute pas autant que lui. Lui, y’est intense.
Rien contre les parents qui gueulent après leurs petits. C’est plus facile de crier en pantoufles su’l perron que de mettre des souliers pis les courir dans le quartier. Je sais, mes parents faisaient pareil.
Rien contre les enfants qui jouent à Jurassic Parc, sans porter attention à leurs parents.
Rien contre cette scène-là : « Rentre à maison » « Non! », en boucle, tous les soirs. Un classique.
Rien contre les chicanes de cuisine. Rien contre mes voisins qui s’aiment, en haut. Qui s’aiment tellement qu’ils oublient qu’on les entend comme si nous aussi, on s’aimait avec eux.
Reste que j’préfère encore qu’ils s’aiment qu’ils se chicanent.
Rien contre la visite qui monte et descend les marches de fer d’en arrière. Y’ont oublié de quoi dans l’coffre du char, sans doute.
Rien contre l’autre chat qui miaule après le mien, dans le scring.
J’partage avec le monde que je connais pas, dans toutes ces « j’peux-rien-contre »-là.
Sans le vouloir. On le veut juste assez pour laisser la fenêtre nous porter.
J’aime laisser la porte de la galerie béante, avec sa déferlante de fleurs séchées, de cailloux pis de mouches. Pis m’asseoir, sourire, et laisser les fleurs, les cailloux et les mouches me sécher les dents et me garnir les gencives.
J’aime ça, j’aime infiniment ça pour le repos et la lumière de fin soirée, après l’excitation bruyante de la journée. À 21 heures y fait clair encore, et ça me donne le goût de m’réveiller. Puis, pour la lumière du matin que je filtre par les stores, pour voir quelques éclats en découpes lignées sur mes murs.
Pour les échos des rues, en entonnoir de la précédente, qui réverbèrent chaque son de la ville, de Grande-Allée à chez nous. Les cris à pas d’heures le matin, les roues de skates et le bruit de canettes qui tombent.
M’installer là, à la fenêtre. Pour écouter la vie passer, sans indiscrétions – puisque tout est déjà donné au dehors. Reste plus qu’à prendre. Pour saisir ce qui passe, au vol. Pour me faire un peu de bien avec le bonheur des autres.
C’est pas cher payé.