En mars dernier, sur un espèce de coup de tête hormonal des plus hasardeux, je me suis loué un trois et demi dans un quartier malfamé du Vieux-Lévis. Je vous entends rire d’ici et je suis d’accord avec vous, ça n’existe pas vraiment, un quartier malfamé à Lévis. Disons plutôt une rue. Et encore là, je suis généreuse, parce que c’est juste mon bloc et celui à côté qui n’inspirent pas confiance. Il n’y a effectivement pas de mafia lévisienne armée et dangereuse. Ou en tous cas, s’il en existe une, elle n’est pas très active passé vingt heures, pas même les vendredis…
Y se brasse pas beaucoup de trucs louches sur ma rive et c’est parfait comme ça.
N’empêche que, en signant le bail de mon wanna be petit nid, j’ai eu un frisson. Y avait environ cinquante mille trous inexplicables et inexpliqués dans les murs, des cartes de crédit (potentiellement volées?) dans les armoires et le propriétaire m’a expliqué nonchalamment que les anciens locataires ne payaient pas le loyer depuis des mois avant qu’il arrive à les évincer.
Mon premier réflexe a donc été d’exiger de mon proprio qu’il change les serrures. Je commençais à appréhender mon arrivée, toute seule dans le ghetto lévisien, et je ne pouvais m’empêcher de me demander si j’allais cadrer dans le voisinage. À ce stade, je ne les avais pas encore rencontrés, mes voisins! Je me suis aperçu, en déménageant la semaine dernière, que ce sont des spécimens rares.
À ma droite, y a un couple, Yves et Lionel, qui selon mon estimation ont respectivement 67 et 69 ans et, à ma gauche, un bonhomme tout seul, André*, à qui je donne 63 ans. Trois grands fumeurs qui n’ont pas de dents, ni de dentier, ni de dentition, ni rien qui ressemble à de l’émail.
J’ai fait la connaissance de Lionel alors qu’il passait la tondeuse et je me suis justement demandé s’il n’avait pas déjà été président de la mystérieuse mafia lévisienne (on dit tu un président dans la mafia?). Longs cheveux gris, une camisole grise d’Iron Maiden, une clope soudée sur le coin de la lèvre pis une bière dans une main (faut reconnaître qu’il est efficace en terme de multitasking), il incarne à la perfection l’idée qu’on se fait d’un has-been gangster. À force de discuter, j’ai découvert qu’il est une encyclopédie sur le compost végétal. Ses yeux se sont mis à briller quand il m’a raconté qu’il a le pouce vert, que certains étés il fait pousser des tournesols de huit pieds de haut, que le monde prend ça en photo «OUI OUI TOUÉ CHOSE TU CRÉRAS PAS À ÇA!». Inoffensif et tout sourire comme je ne l’aurais jamais cru! Son chum, quant à lui, semble pour le moment muet et vachement moins jovial – mais je vais l’avoir à l’usure.
André, pour sa part, se berce toute la journée sur la galerie en avant et, lui, il m’a adoptée d’emblée. Il me considère comme sa protégée. À date, nos discussions sont extraordinairement palpitantes. On a bitché les nains de jardin de la voisine ensemble, il m’a demandé – clairement en me jugeant – pourquoi j’avais peint ma chambre en rose (s’il connaissait le nombre de paires de chaussures que je possède, je ne pense pas qu’il arriverait à digérer la nouvelle) et il aime mon chien; j’ai la foi qu’on va devenir de grands amis.
Ainsi s’est déroulée ma première semaine dans mon nouvel appart; à comparer mon nouveau quartier au Bronx (rien de moins!), me considérant so badass de pouvoir entretenir des conversations avec des personnages pas de dents sans que ça paraisse que je trouve ça TELLEMENT troublant des humains qui portent pas de dents.
Sauf que, l’autre soir, en m’asseyant sur le bois pourri de mon minuscule patio pour détendre mes jambes un peu, j’ai levé les yeux au ciel. Je me suis aperçu qu’à travers les poteaux électriques croches et les arbres mal taillés, on voit les étoiles dans le Vieux-Lévis. Et ça m’a fait m’émouvoir de mon sort. Je me suis sentie tellement petite et microscopique dans ma chambre rose dans mon appart dans ma p’tite ville, mais aussi tellement pleine d’amour et de gratitude pour la chance que j’ai d’avoir mon chez-moi, mon entourage exceptionnel et, aussi, vraiment pour mes voisins. Je sais que les anecdotes vont pleuvoir et que nous ne serons pas souvent sur la même longueur d’ondes ni dans la même réalité. Mais je suis également persuadée que leur vécu et leur humanité vont m’apporter gros et c’est ça le vrai cadeau.
Bon déménagement si tu déménages, crépu-e. N’oublie pas de donner une chance à tes nouveaux voisins. Prends exemple sur moi: je suis maintenant une grande érudit du compost végétal!
AA ♥
*Les noms sont, bien entendu, fictifs pour préserver l’anonymat de mes stars de voisins!