Le Périscope nous ouvrait ses portes pour la pièce L’Art de la chute, une production de Nuages en pantalon, et, malheureusement, il a fallu en sortir. De toutes les magnifiques pièces de théâtre que La a eu la chance de voir cette saison, il s’agit peut-être de la plus remarquable. Dans les lignes qui suivent, je serai bien obligé d’user d’un surplus d’adverbes et de superlatifs pour tenter de décrire l’expérience unique et magistrale (ça commence déjà) à laquelle nous étions conviés.
L’équipe derrière ce spectacle s’est lancée audacieusement dans un projet qui aurait bien pu être le script pour un méga blockbuster hollywoodien. Le thème du spectacle : l’aspect financier de l’art visuel contemporain. Le point de départ, c’est le fait bien réel, ou surréel, presque irréel, que Damien Hirst, en 2007, malgré la crise économique mondiale qui se profile, réussit à vendre une de ses œuvres au montant de 100 millions $. Lorsqu’on atteint ces prix, on comprend qu’il n’y a pas seulement les bohèmes fauchés et rêveurs qui s’intéressent à l’art, que les artistes eux-mêmes troquent le pinceau pour la cravate d’affaire.
(Ça, ça vaut 100 millions)
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Là où la fiction se met en branle, c’est lorsqu’Alice Leblanc, artiste pauvre et en quête d’un second souffle, débarque à Londres où elle retrouvera une amie qui travaille dans les finances. Ensemble, elles se rendent à l’exposition de Damien Hirst, celle de 2007. Tout est en place pour la confrontation de l’aura un peu trop mystique, idéale et transcendante que l’on prête souvent à l’art avec son insertion très pragmatique et terre-à-terre dans notre monde de fou.
Vous avez sourcillé lorsque vous avez entendu le mot « finance »? Sachez que le spectacle fournit toute une série de petites initiations à ce monde abstrait, sous forme d’apartés absolument hilarants. On entre donc dans cet univers avec les abdos fatigués à force de s’esclaffer, une envie de pisser notoire et, surtout, complètement fasciné par l’irréalisme de ce monde. Expositions à Londres ou à New-York, bouteilles de champagne à 2000 $, robe Versace, bars mondain, CDO (collateralized debt obligation), Lehman Brothers… On nage dans la virtualité que Wall Street a transposée jusque dans le monde de l’art contemporain.
Crédit photo : Vincent Champoux
Essayez donc de vous imaginer le défi de la mise en scène! Jean-Philippe Joubert, un nom à retenir. Son succès est total! Il nous fait basculer d’un univers mondain à l’autre, nous fait sentir tout l’aspect surréaliste, démesuré, fictif et immoral de ce marché.
Et le jeu des acteurs… Absolument renversant! Le texte, qui convoque et alterne entre le français du Québec, celui pincé et ridicule des français richissimes et snobs, l’anglais de New-york et celui de Londres, est extrêmement exigeant. Nous sommes, avec L’Art de la chute, de plain-pied dans la mondialisation et ça se ressent dans les accents qui s’entrecroisent sans cesse. L’effet est tout simplement parfait; c’est à la fois déroutant de réalisme et hilarant par son caractère utopique.
Cependant, la grande réussite du spectacle, c’est son aspect carnavalesque. Non seulement c’est drôle et festif, mais toutes les valeurs sont subverties. Les riches se font prendre à leur jeu, les pauvres deviennent riches et snobs, l’art devient de la spéculation et la spéculation se fait artistique. Plus qu’une simple critique du capitalisme refait 10 000 fois, c’est une plongée, une véritable immersion dans un milieu où l’on ressent aussi bien l’immoralité que la frénésie qui le caractérise. Au bout de nos sièges jusqu’au bout, fascinés par ce qui se déploie devant nous, le rire qui accompagne chaque scène, impressionnés par l’intelligence de l’intrigue, on se fait engloutir par le spectacle.
Crédit photo : Vincent Champoux
À défaut de vous mentionner la liste des concepteurs de ce spectacle, qui, dans leur contribution respective, touchent au sublime. Mise en scène, texte, vidéo, musique, interprétation : tout est d’un grand brio.
Oubliez le cinéma, c’est au Périscope que l’action se trouve!
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