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Les AA : Attentionnés Anonymes

Je ne sais pas pour vous, mais moi, je suis du genre misanthrope sur les bords. Mais pas beaucoup, là.

Voyez-vous, j’aime les gens! J’aime les humains, individuellement. Je pense que chacun est beau et bon et plein de talent et a un bon coeur. Je pense qu’il faut juste apprendre à les connaître, se mettre à leur place et essayer de les comprendre pour voir qu’ils sont ce qu’ils sont pour une raison. Même si parfois, je l’avoue, j’oublie de le faire sous l’effet de la colère ou de l’angoisse. Je m’excuse d’ailleurs à tous ceux que j’ai blessé ou que je blesserai par impulsivité, lorsque je me transforme en M. Hyde.

Mais quand je pense à l’humanité, je perds tout mon humanisme. Tout le monde est con pis tout le monde est égoïste. On priorise l’argent de l’un à la qualité de vie de l’autre. On se lamente pour une journée de cours annulés, sans penser aux motifs de cette grève, qui poussent les professeurs à passer à l’acte. Arrivez-vous à croire qu’on soit réellement rendus là? Dans ce temps-là, je pense sérieusement que je pourrai jamais compter sur quelqu’un de toute ma vie : les amis, la famille, c’est bien généreux, mais leur vie tourne pas autour de moi. Ils ont autre chose à faire que « fouetter mes chats ». Ils ont déjà les leurs, pis ils en ont plus qu’assez. Tous ceux qui partagent ma dimension spatio-temporelle le savent, l’individualisme règne. Et à moins de pouvoir tirer un certain avantage d’une relation interpersonnelle, on ne mélange pas nos existences. Individuellement, on n’est pas mauvais, mais collectivement, on n’est pas gentil.

C’est pas que je veuille citer Louis-Jean Cormier, mais je sais pas trop comment le formuler autrement. Alors voilà : « On joue au solitaire, tout le monde en même temps. » Et pour les intellectuels qui liront mon article, la prochaine citation est un peu plus historique : « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants; c’est l’indifférence des bons. » Mon tendre ami, Martin Luther King, avait raison là-dessus. C’est quand je constate que les bons n’interviennent plus que j’atteins le paroxysme du désespoir. Quand l’impuissance s’irradie et que chacun attend qu’un plus courageux se lève. Comme quoi la solidarité humaine est maître dans l’art de l’inertie.

Je ne sais pas si je me lèverais, moi, honnêtement. Et c’est ce qui me désole le plus. Je me dédaigne. Pas simplement parce que je suis un maillon de la chaîne, mais aussi parce que je persiste à être condescendante face à l’attitude humaine collective. Je suis une misanthrope hypocrite. Si je m’appelais Mélancolie — et parfois, je me demande pourquoi ce n’est pas le cas! —, je laisserais cette affliction m’envahir. Mais comme je m’appelle Noémi, j’essaie de me rappeler les quelques fois où des inconnus m’ont apporté une vision positive de l’être humain.

Je vous raconte donc ici deux phénomènes rares de bonté :

J’étais encore au secondaire. J’étais assise dans l’autobus de ville, alors que je me rendais à mes cours de théâtre parascolaires. C’était sûrement la journée la plus froide de février, une journée à glacer les cœurs. Et c’est ce que le mien faisait pour se protéger d’un garçon qui venait tout juste de m’exclure de sa liste.

Mes orteils se pétrifiaient dans mes bottillons pendant que je pleurais à chaudes larmes. Il faut croire que j’évacuais la chaleur pour que mes émotions se figent et que ma joie se conserve mieux. Je pleurais tellement que je ne voyais plus les gens clairement. Devant moi s’agitait une représentation moderne d’un Monnet en autobus. J’essayais du mieux que je pouvais de ne pas étaler ma douleur devant tout le monde, mais mon corps m’en empêchait. Je sanglotais, reniflais, hoquetais. J’essayais d’avaler l’incommensurable motton dans ma gorge lorsqu’une main a surgi devant mes yeux bouffis. Une dame me tendait un mouchoir devant un public lassé de mes pleurs.

Cette bienveillante inconnue m’a fait sourire dans un moment ou même respirer me semblait secondaire.

J’étais dans le traversier, cette fois-là. (À croire que les personnes généreuses se promènent en transport en commun.) Ça ne fait que quelques semaines de ça. Comme à mon habitude, j’abusais de mon téléphone cellulaire, plus individualiste que jamais. J’étais assise de façon à ce que mes pattes accaparent l’équivalent de trois sièges, et que mes sacs monopolisent le dernier. Par instinct, j’ai levé les yeux au même moment où un homme s’avançait vers moi. Il m’a alors gentiment demandé si je pouvais l’aider avec son cellulaire — le même que moi — qui faisait des siennes. Évidemment, en bonne samaritaine que je suis (voir ici que je rigole), je lui ai fait une place sur le siège à côté des miens, et j’ai fait tout ce que je pouvais pour l’aider. En vain. Malgré tout, l’homme m’a remercié, et m’a même offert un étui de cellulaire pour avoir pris le temps de l’aider.

Le dimanche suivant, on s’est recroisé par hasard. Il ne m’avait pas oublié : il avait mis l’étui dans son sac à dos, au cas où il me croiserait.

Ce dimanche-là, un étranger m’a fait réaliser l’importance de l’entraide et du partage.

Alors, même si je suis misanthrope à temps partiel, je pense quand même que j’ai un peu d’espoir en l’humanité à temps perdu.

Mais dites-le pas trop fort.

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