Bravo. Il ne reste maintenant plus qu’une journée à novembre. Si vous lisez ce texte après 15 h, il y a de fortes chances que le soleil soit en train de se coucher, mais ça, on s’est habitué. Il y a aussi de fortes chances que vous soyez comme moi dans l’impossibilité de trouver comment vous habiller convenablement pour la météo (faut-tu que je mette trois pulls ou bien mon manteau d’hiver?). Mais encore, ça fait trente jours que le mois dure, on est presque rendu au moment facile de décembre où le froid demande plus la permission de s’installer. Bravo, 30 novembre, journée charnière avant l’arrivée officielle de l’horaire de Noël des magasins et l’invasion thermonucléaire de la musique des Fêtes.
C’est aussi l’un de ces jours où j’ai profondément envie de toute crisser là pis de m’en aller.
Je parle du 30 novembre parce que c’est aujourd’hui et j’avais besoin d’une introduction, toutefois j’imagine que je ne suis pas le seul qui a déjà eu envie d’abandonner sa job ou sa session, de vider son compte épargne pis de déménager dans un pack-sac.
C’est un genre de choc passager. Une petite vague (ou un tsunami, sérieux, dépend des jours) qui traverse l’esprit pour rendre tout ce qui se passe autour de nous moins intéressant qu’un road trip de trois mois en Europe. Mon but ici n’est pas de faire une liste de raisons pour laquelle il faut tout abandonner et voyager; vous avez juste à faire un tour sur le site du Routard/Lonely Planet. Je vais prendre la situation d’un autre côté.
Pourquoi le blues?
Je dis le blues, parce que ce n’est pas si le fun que ça. L’envie de crisser son camp est intrinsèquement liée au fait d’être en train de mener une vie qui ne nous apporte pas un maximum de bonheur. Dans le sens où il nous apparaît qu’on serait plus heureux ailleurs, tout simplement. C’est un besoin de changement, d’aller voir s’il y a mieux comme vie ou d’aller avoir plus de fun. Ça implique donc forcément que le quotidien semble fucking plus terne (car une job à temps partiel comme couillon dans une épicerie ≠ l’Italie). La question qu’il faut se poser est donc la suivante : est-ce que c’est le quotidien qui nous donne envie de nous enfuir ou bien l’envie de partir qui ternit le quotidien? La distinction est importante, car elle marque la différence entre la fuite et le voyage. Sans entrer dans des détails longs et faire de la blogue thérapie (copyright Samuel Dinel), la fuite n’a aucune garantie de régler aucun problème et, en plus, il y a toujours une chance que ce qu’on fuit soit en dedans de nous et que l’on parte avec.
Pourquoi on ne part pas?
C’est dur de se poser la question objectivement et d’essayer de trouver des réponses sérieuses qui ne soient pas juste des tentatives de se justifier (lire : des excuses). Et c’est là que se trouve toute l’ironie du blues du voyageur-qui-a-envie-de-toute-crisser-là : il est établi que l’on serait possiblement plus heureux ailleurs, mais on ne fait rien pour aller rejoindre cet ailleurs. Est-ce qu’on est juste con?
Source
- La vie n’est peut-être pas si mal que ça ici : j’écris ça, et je me rends compte que c’est probablement la phrase qui est la plus utilisée comme excuse (dans mon cas). Pis dans le fond, c’est ben correct, c’est une fucking bonne excuse. C’est possible que l’envie de partir soit une lubie passagère et qu’on soit juste dans une phase où on est moins capable d’apprécier la beauté de notre quotidien. Parce que, on va se le dire, c’est le fun d’avoir l’impression de bâtir son futur et de construire sa vie. Et d’une certaine façon c’est quelque chose qui se fait mieux à l’endroit où l’on veut s’installer (tant et aussi longtemps qu’on peut s’accomplir en ayant une carrière et que « construire sa vie » est une notion qui a du sens).
- La peur et l’effort : ce n’est pas tant le voyage qui effraie, au contraire c’est le boute le fun. C’est ce qui se passe ici. C’est abandonner sa job, dropper ses études, gérer ses animaux de compagnie, penser à son loyer, à quoi faire de ses meubles et toutes les autres questions de logistique qui viennent rendre immensément plus compliquée la partie « toute crisser là » du trip. C’est un peu à ce moment-là que l’on se rend compte que, rapidement, tout ce que l’on construit devient aussi une chaîne et que souvent c’est seulement une question de point de vue. Dans une perspective de stabilité et de long terme, s’acheter un condo ou un chien (par exemple) est vraiment satisfaisant, mais ce sont toutes des racines et c’est de plus en plus difficile de s’en arracher. C’est la peur de perdre toutes ces choses, la peur d’avoir à tout reconstruire, l’effort de gestion lié à toutes ces choses-là qui va venir donner, au nom de la réalité, un OSTI de gros coup de pelle dans la face.
- La planification : la planification, c’est le compromis qu’on fait. C’est transformer l’envie en « crisser certaines affaires là, sous certaines conditions et partir à un certain moment pour une certaine période de temps ». Si c’est souvent la solution idéale, qui permet d’avoir le meilleur des deux mondes, c’est aussi dénaturer l’envie et piler un peu (ou beaucoup) sur ses instincts. Résultat : la fuite ou le voyage deviennent du tourisme (j’exagère) et ne va pas nécessairement satisfaire l’urge qui nous motivait au départ et qui nous donnait envie de partir.
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Parce que cette petite rage-là, cette envie du risque nous arrive de moins en moins souvent et au fur et à mesure que l’on s’installe (pas que l’on vieillit), va devenir plus complexe à satisfaire. L’aventure commence par ce laisser-aller, par ce désir fondamental de se déresponsabiliser et de se dire que les conséquences de nos actes sont moins importantes que la satisfaction que l’on va aller chercher (puis qu’on va ramasser les pots cassés au retour). L’essence de cette envie, c’est l’imprévu.
En gros, je ne veux pas vous dire de scrapper vos vies pis de laisser mourir vos chats dans votre appart pour aller vivre 3 mois dans un camp de nudistes à Valence. Que ce soit pour un voyage ou pour n’importe quelle autre chose, on va tous avoir des envies primales et souvent insensées. Ben ce que je veux dire, c’est que c’est quelque chose de fondamentalement humain, et qu’elles semblent absurdes (les envies) simplement parce qu’elles vont à l’encontre de cadres ou de standards qui trop souvent sont imposés par nul autre que nous-mêmes. C’est cette petite brûlure-là qui nous garde en vie pis va falloir l’écouter à moment donné.
Source (photo de couverture)