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Août 2020. L’établissement d’enseignement pour lequel je travaille se prépare à offrir sa formation à distance et une collègue nous partage la publication Facebook d’ICI Bas-Saint-Laurent. Dans cette publication, Radio-Canada présente le téléscript, une méthode d’enseignement à distance utilisée dans les années 60-70 au Québec. Des rapports semblent avoir été produits sur cette méthode d’enseignement technologiquement révolutionnaire (!!), rapports que je n’ai pas lus et dont j’ignore les conclusions, mais force est de constater qu’il aura fallu une pandémie pour que le Québec se (re)penche sérieusement sur l’offre de formation à distance.
J’ai terminé mes études secondaires en 2002, dans un petit village situé à environ 45 minutes de Québec. Encore à cette époque, quiconque voulait poursuivre des études postsecondaires devait 1) acheter une voiture et se taper plus ou moins deux heures de route quotidiennement ou 2) emménager à proximité de l’établissement d’enseignement postsecondaire qu’il ou elle choisirait. J’avais 17 ans quand j’ai signé mon premier bail, quand j’ai commencé à faire l’épicerie, quand j’ai commencé à payer des comptes d’Hydro. Quand j’y repense aujourd’hui, je me dis qu’on est encore un peu des bébés, à 17 ans, que c’est bien jeune pour commencer à être un.e adulte. Mais c’était comme ça, pour moi, pour tous.tes les autres jeunes avant moi et pour plusieurs autres après moi. Jusqu’à 2020.
J’entends que la communauté étudiante ne va pas bien, présentement. J’entends qu’elle se sent isolée. J’entends que les cours, que les profs, ne s’adaptent pas tous.tes au même rythme, ni avec la même, disons, qualité. J’entends également les profs qui disent « Heille, c’parce que là, on y’arrivera pas ». On pourrait croire que le Ministère, leur centre de services scolaires ou leur école leur fourniraient des ressources pour les aider, mais non. Plus souvent qu’autrement, c’est le prof d’éthique et culture religieuse, un peu techno, qui taponne sur Zoom la fin de semaine et qui arrive le lundi en disant : « OK gang, caucus ! Je pense que j’ai trouvé comment faire pour séparer notre classe en quatre quand on veut les faire travailler en équipe ! » J’entends tout ça. Malgré tout, j’espère ardemment que la formation à distance est là pour rester, parce que les établissements d’enseignement postsecondaire comme les cégeps et les universités ne desservent pas uniquement les métropoles : ils desservent tout le Québec. Je sais que c’est une opinion assez impopulaire, mais on est plus de 8 millions d’habitant.e.s dans la province et on ne peut décemment pas tous.tes habiter à Montréal, à Québec, à Sherbrooke, à Lévis, à Trois-Rivières et à Gatineau. Il y a tout un monde en dehors des grandes villes et pour certaines personnes, ce n’est tout simplement pas un choix de s’expatrier pour étudier.
S’expatrier pour étudier, peu importe l’âge, c’est difficile, mais c’est quand même un peu moins difficile si on a une famille pour nous soutenir, si on est célibataire ou si notre conjoint.e a les mêmes aspirations que nous, si on n’est pas parent, si on a des ami.e.s avec qui cosigner un bail, si on peut avoir un emploi de 10-15 heures par semaine, si on a accès aux programmes de prêts et bourses, si, si, si… Ça fait beaucoup de si. Ça fait beaucoup de personnes qui ont renoncé à poursuivre des études parce qu’elles ne parvenaient pas à réunir suffisamment de « si ». Ça fait beaucoup de personnes qu’on se permet de mépriser un brin chaque fois qu’on parle d’étalement urbain, de congestion routière ou de stationnements universitaires, comme si c’était toujours une option d’habiter à distance de marche (ou d’autobus !) de son école.
Quand ma collègue a partagé la publication d’ICI Bas-Saint-Laurent, j’ai été très étonnée de découvrir le téléscript, de découvrir que l’enseignement à distance, c’était pas une nouvelle affaire. J’ai été très déçue, aussi, de constater qu’on avait fait si peu d’efforts entre le téléscript des années 60 et le Zoom de 2020 pour améliorer l’accessibilité des études postsecondaires. Grâce à la pandémie et même s’il reste beaucoup de chemin à faire pour que ce soit agréable pour la majorité des gens, la fille de campagne que je suis se réjouit qu’on puisse enfin suivre des cours universitaires assis à la table de notre cuisine, à Notre-Dame-du-Sacré-Cœur-d’Issoudun. Ah, pis on dit Issoudun, pas Issoudune.