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L’enfant de chienne

Enflée, comme après un traitement de chimio, avec rétention d’eau dans les jambes : une baleine échouée et flasque avec un être vivant suffocant sous son gras.

C’est avec cette image sereine que j’anticipe ma grossesse.

Déchirement du col, excréments étalés sur la table, douleurs intenables et arrêt cardiaque : une chienne qui n’aura pas été foutue de mettre bas son bébé comme les millions d’autres mères des derniers milliers d’années.

C’est ainsi que j’entrevois mon accouchement.

Des mois à cicatriser, à me lamenter. Mon chum qui me crisse là, me laissant monoparentale et mésadaptée, maternellement parlant, pas capable de fermer une poussette, d’installer une barrière pour petits dans un escalier, de changer une couche en moins d’une demi-heure ou de me déplacer avec mes immondices mammaires gorgées de lait sans brouette pour les porter.

C’est avec cette paix intérieure que j’envisage les premiers mois de ma maternité.

***

Bingo aux crépus qui l’ont deviné : J’ai envie et en même temps la chienne de la maternité.

Mon chum a déjà deux enfants. La plus jeune pourrait, d’âge, être ma fille, et la plus vieille pourrait nous faire grands-parents. Pour lui, c’est clair que je ferai une bonne mère : « T’as eu tes enfants de pratique! », désignant ses filles avec lesquelles je m’entends en effet plutôt bien. Mais les filles de mon chum, elles ne sont plus des bébés.

Faut dire qu’avant de le rencontrer, ma relation avec les enfants se limitait au fait d’en croiser dans les transports en commun sans jamais oser les regarder tellement j’étais convaincue que télépathes qu’ils sont me scrutaient le malaise intérieur et me jugeaient. C’est pas évident de faire Sainte-Foy – Limoilou en 801, assise à côté d’un bambin d’un an qui écarquille les yeux sans jamais se lasser de te regarder…

Heureusement, ma sœur m’a offert une adorable nièce qui a aujourd’hui deux ans. Adorable, oui : je ne pourrai jamais la garder. Si je cède à ses dangereux caprices (genre la faire monter sur un mur d’escalade), ma sœur angoisse – et avec raison. Quand je la fais descendre parce que c’est trop dangereux, elle trépigne et je manque de l’échapper. Une minute passée avec cette petite et je suis déjà essoufflée… So?

Des fois, quand je me couche le soir, j’essaie de m’imaginer en train de faire des activités simples (VRAIMENT simples), avec mon bébé.

Prendre un bain, par exemple.

On a une baignoire à pattes. Les rebords sont hauts, alors, avec mon adresse légendaire (lisez ceci pour mieux comprendre), je suis bien capable d’échapper mon bébé, de le laisser se cogner la tête sur le robinet, tomber dans le bain et se noyer.

Non, le mieux serait de le garder dans mes bras, monter dans le bain et me laver avec lui. Mais ça, ça veut dire ne jamais le lâcher! Du coup, comment je me lave, moi? Ou alors, je me lave avant ou après et je ne lave que lui. Mais s’il fait pipi ou caca dans le bain, ça va être dégueu, je vais vouloir me nettoyer, c’est sûr!

Et quand on va sortir du bain, va falloir l’essuyer vite vite vite vite vite vite vite vite, lui, pas moi, à moins que je ne sois prête à sacrifier mes tympans après chaque bain, ou à surchauffer la salle de bain pour pas qu’il gèle, donc à payer (encore) plus cher d’Hydro.

Ensuite, je le mets où pendant que je me sèche? Par terre? Il va geler sur le plancher et hurler sa vie. Sur la laveuse ou la sécheuse? Il va rouler en bas, se fracasser le crâne, je vais devoir appeler l’ambulance et je passerai en une du Journal de Québec, le lendemain, avec le titre de marâtre meurtrière.

Suis-je trop égoïste pour avoir un enfant à moi?

Durant son terrible two, pendant qu’il va crier à ameuter les voisins pour pas aller se coucher, vais-je finir par le lancer par la fenêtre?

Durant son ferocious four, quand il voudra rien savoir de manger ce que mon manque d’imagination va avoir trouvé à cuisiner pour le seizième repas d’affilée, vais-je le mettre dans un sac à ordures, sur le bord du chemin?

Durant son complexe d’Œdipe, quand il va me faire vingt demandes en mariage par jour, qu’il va vouloir me coller quand je travaille, quand je dors, quand je pète, quand je vomis, vais-je le mettre en adoption?

Quand il va me demander de tripper avec lui sur les *&*#&?%#$?%$ de Ninja turtles et princesses, qu’il va me regarder faire pipi en me jasant de ses jouets, en renversant son pot ou en me posant plein de questions sur le pourquoi du sang dans ma serviette sanitaire, vais-je vouloir le semer dans un bois la nuit?

Quand il grandira, qu’il détestera l’école, que je devrai lui mentir et lui raconter que moi, j’adorais ça et que TOUTES les matières sont aussi importantes les unes que les autres, qu’il faudra le menacer avec un tison pour qu’il fasse ses devoirs et entamer des discussions onusiennes pour qu’il range sa chambre, vais-je l’étouffer dans son sommeil?

Et plus tard, quand il sera un ado, qu’il me ressemblera quand je l’étais, qu’il me trouvera bornée comme je le pensais de mes parents, qu’il sera laid et toujours le plus mal habillé possible, qu’il aura des amis aussi créatifs que Jackass, que son corps mutera en tête à claques, son cerveau en Alien, et qu’il ne m’adressera la parole que pour me quêter un « vingt piasses, m’man? », l’aimerai-je encore?

Comme les millions d’autres mères de ces derniers milliers d’années, j’imagine que mon enfant, je vais toujours l’aimer. Moi à travers lui, par contre…

Par Élisabeth Cyr

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