Je t’avoue quelque chose, ici et maintenant : ma confiance en moi, pourrait être un peu meilleure. Pendant bien longtemps, j’ai eu du mal à trouver qui j’étais, ce que j’aimais, ce qui me faisait du bien, simplement parce que c’était les autres qui décidaient pour moi ce qui était beau, ce qui allait me rendre heureuse. Pour moi, nager contre-courant, c’était juste synonyme d’efforts inutiles, pis ça ne me dérangeait pas vraiment d’être comme tout le monde. J’ai aimé être rebelle, revendiquer les normes sociales, les idées préconçues qu’on a de la masculinité et de la féminité, pis j’ai aussi aimé ça, rentrer dans le moule, de temps en temps. Au travers de mon changement personnel, la seule chose qui changeait tout le temps, en restant pareil, c’était les autres. Plutôt, c’était leur regard. Leur vision de moi, qui semblait toujours me regarder différemment, en ayant toujours le même jugement derrière. Que j’aie l’air tomboy ou extra féminine, on me regardait toujours pareil. Les cheveux rouges, bleus, verts, châtains, bruns, noirs, roses, le crâne rasé ou fourni, les autres avaient toujours un visage tordu lorsque je croisais leur chemin. Encore aujourd’hui, quand j’ose les faux ongles, ou la jupe, de parfaits inconnus me regardent et savent que je ne suis pas parfaitement à l’aise, que c’était peut-être une mauvaise idée, qu’il est trop tard pour faire demi-tour et que je n’ai d’autres choix que d’assumer le fait que j’ai l’air un peu moins belle aujourd’hui. Tout le monde le sait, me juge, moi y compris. D’un habit à l’autre, d’une paire de jeans à une autre, j’avais toujours ce regard-là en tête. La madame au restaurant juge le ton de ma voix, je parle trop fort, je dérange, le monsieur pense que j’ai l’air d’un gars, il m’a même appelé « monsieur » quand j’ai échappé ma tuque tout à l’heure, la fille dans l’auto d’à côté haït la couleur de mes cheveux, celle dans mon cours de chimie trouve que j’ai une personnalité vraiment gossante pis elle veut changer de partenaire. Ils ne vont jamais admettre toutes leurs pensées cruelles, mais moi, je le sais. Je le sais, que toute la planète entière s’est rassemblée autour de moi pour regarder de près toutes les choses que j’aime moins, que j’appréhende à propos de ma propre personne.
On dit qu’il faut au moins trois preuves contraires pour détruire une idée erronée, trois vraies nouvelles pour enlever la validité de la fausse. Avec le temps, je me suis rendu compte que c’est un peu pareil pour le regard des autres. Il faut trois compliments pour oublier le regard étrange du caissier au dépanneur, pour qu’on se sente bien dans nos culottes, cheveux en bataille, maquillage en moins, ou en plus. Pour enlever de sa tête l’idée que les autres nous voient différemment, pour éviter de projeter nos insécurités sur les autres, pour éviter de lire dans les silences des mots de haine, il faudrait commander des compliments à la tonne sur eBay. J’ai compris, avec le temps, que ce que je voyais, dans le regard des autres, c’était mes propres méchancetés. On utilise les yeux des autres pour refléter nos peurs, nos insécurités. J’ai aussi compris que moi aussi, j’ai été le miroir pour les insultes de quelqu’un d’autre. Si mon regard a pu causer du mal, il peut aussi causer du bien. Peut-être qu’il faudrait des compliments à la tonne pour annuler le fait que mes yeux se soient posés sur quelqu’un, mais un compliment, c’est gratuit. D’accoster quelqu’un dans la rue pour lui dire que son foulard est beau, ça ne coûte rien. De rappeler à ses amis ce qu’on apprécie le plus d’eux, ça fait juste du bien. D’être gentils avec les autres, même les purs inconnus, qui sait, ça permet peut-être à quelqu’un d’oser un peu plus, ça égaie peut-être la journée de quelqu’un plus qu’on le pense. De s’entourer de gens qui nous regardent avec de l’amour dans les yeux, peu importe la couleur de nos cheveux, ça donne envie de se regarder de la même façon. Des compliments, ça peut aussi venir d’en dedans. De se dire qu’on est beau, tel qu’on est, dans tous nos états différents, ce n’est pas plus cher qu’un sourire. De se laisser un post-it mental qui nous rappelle que, sous tous nos angles, avec tout le monde, dans tous les contextes, on est beaux, ça prend deux secondes. On peut s’en garrocher douze mille, des compliments. Quand les compliments viennent d’en dedans, ils font autant de bien que ceux qui viennent de dehors, pis peu à peu, on détruit l’idée que les autres ont des yeux qui jugent. On comprend que les yeux des autres n’en ont rien à battre, de notre nous-même, de ce dont on a l’air, pis ça, c’est le fun. Si on se regarde avec de l’amour, qu’on complimente tout le monde, nous y compris, le regard des autres devient facile à ignorer.
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