En ce jour où tout le monde court, nage, roule. En ce jour où on s’évalue, se jauge, se pèse, s’analyse. En ce jour où on affiche publiquement les pouces et les livres en moins pour recevoir l’admiration et l’amour des autres. En ce jour où la réussite est bien souvent liée directement à l’apparence pour plusieurs…
En ce jour, j’ai envie de vous parler de moi. Parce que j’en ai assez de voir des femmes faire des régimes et s’astreindre à des rythmes d’entraînement effrénés, pour être plus minces, plus belles, moins ci ou ça!
Moi, la fille qui s’assume pas, qui fuit les miroirs, qui se trouve lourde dans les bras de son homme, qui est partagée entre le bonheur d’être la moi intérieure et l’horreur d’être la moi extérieure, ça fait déjà 12 ans que je cohabite avec ce que l’on appelle un trouble alimentaire.
Ça arrive sans prévenir, une année où le travail est intense et où, sans le vouloir, on perd du poids. Les gens le remarquent, on en parle, on admire la ténacité et la persévérance! Bien des personnes diraient merci et passeraient à un autre appel. Mais pour les femmes comme moi, pour qui la confiance en soi est quasi inexistante et chez qui le besoin d’être reconnue (voire aimée) est tellement violent, intense et nécessaire, c’est comme si cette reconnaissance forgeait notre identité. On enregistre que c’est par le corps qu’on obtient ce qui nous manque. Et on est tellement en manque… de tout.
Mais ce corps, on le hait depuis toute la vie! Il faut le rendre agréable pour garder notre monde, alors on se prive, on s’entraîne, on s’épuise et on se puni. De quoi? On fait le vide de notre corps pour remplir celui du cœur!
Je travaille fort pour essayer d’aimer l’ensemble de l’œuvre. Je voudrais bien accuser toute la planète pour ce mal-être qui s’accroche, mais, dans toute cette histoire, il n’y a que moi. Il n’y a que moi qui se regarde avec ces yeux-là! Encore pire : qui se VOIT avec ces yeux-là! Et la roue tourne. Je déteste ce que je vois, et si moi je me déteste, qu’en est-il des autres?
Ça semble si facile d’être appréciée des autres quand notre corps est agréable.
Puis, le trouble nous parle : « Les autres aussi doivent ressentir le même dégoût à mon endroit. » Alors je m’efforce d’être irréprochable pour compenser. Tout faire pour être aimée! Avoir une belle âme pour faire oublier le reste. Tout accepter, tout prendre sur soi, dire oui, encore et toujours. Être performante, donner tout ce que j’ai, dans tout, tout le temps. Car comment être aimée si on ne s’aime pas soi-même?
Faisant tout pour devenir la plus petite possible afin que la vue ne soit pas le premier sens à me percevoir, aussi légère suis-je en train de devenir, je ne me suis pourtant jamais sentie aussi lourde.
C’est ça, au fond! Et si on fermait tous les yeux?
Je ne veux plus être vue; je désire être perçue! Fermer les yeux et ressentir ma personne. Car ce que l’on ressent, ce n’est ni beau, ni laid, ni gros. C’est juste… nous!
J’ai envie de cette pause. Je ferme les yeux.
Anonyme
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