Chaque année, à l’aube du mois de juillet, le Québec se transforme en une énorme fourmilière. Selon mon bon vieil ami Wikipédia, entre 200 000 et 250 000 ménages québécois prennent d’assaut les rues de la province pour se retrouver dans un nouveau chez-soi. 250 000 fourmis qui grouillent avec leur baluchon d’essentiels sur le dos, ça en fait du vent pis des animaux laissés à eux-mêmes en une seule journée. Mais ça, malheureusement, c’est un autre sujet.
Pour les jeunes étudiants, déménager le 1er juillet dans son premier appartement, ça peut être source de deux choses : d’anxiété pis d’excitation. En général, c’est jamais l’un sans l’autre. C’est particulier parce que, du jour au lendemain, maman est plus là. Chop chop, le cordon ombilical! C’est pas seulement du négatif, faut dire. C’est sûr, maman fera plus tes lunchs, ton lavage pis ta vaisselle… Elle lavera plus la toilette, la douche, le plancher, et les comptoirs après que tu aies fait ta gibelotte du dimanche après-midi. Elle paiera plus pour tes essentiels d’intimité et d’hygiène (parce qu’on va se le dire, même si y’a plus de taxes sur les serviettes hygiéniques, Valcartier dans tes bobettes, ça coûte cher de Qualinet!) ni pour les gâteaux McCain que tu caches dans ton congélateur jusqu’à ce qu’une de tes amies soit en peine d’amour et que vous le dévoriez en maudissant la gente masculine.
C’est angoissant de gérer tout seul ton budget, surtout quand t’es étudiant.
Par contre, maman ne te demandera plus où tu es passée les matins où tu te réveilles sur le divan de ton ami-qui-est-vraiment-juste-un-ami-malgré-ce-que-maman-en-pense alors que y’a de la brume dans les lunettes de tes souvenirs de la veille. Vous ne vous chicanerez plus à propos de la date où tu étais supposé passer le bulldozer dans ton bordel, mais que tu ne l’as pas fait parce que, dans le fond, tu te retrouves mieux dans ta décharge; chaque montagne de vêtement représente l’importance dudit morceau dans ta vie. Plus la pile est grande, plus tu les aimes, parce que tu les mets souvent. Au travers, tu peux retrouver des sous-vêtements et des accessoires, éparpillés comme des huttes dans un parc national. Les objets qui longent les murs sont ceux que tu n’utilises plus et que tu ne vois presque plus, mais tu ne peux pas t’en départir. Elle peut pas comprendre, notre chère maman, c’est un art trop abstrait pour elle.
C’est excitant de pouvoir vivre comme tu le souhaites, quand tu le souhaites, selon tes propres valeurs.
Fait que pour plusieurs d’entre nous, le 1er juillet passé, c’était le saut en bas du nid. Certains sautaient par eux-mêmes, d’autres se faisaient pousser par maman oiseau… Pis moi, comme je suis de nature anxieuse et que j’ai besoin de savoir ce qui m’attend en bas si je fais une chute libre, je déménageais partiellement. Tu comprends sûrement pas ce que je veux dire par là. Je te l’accorde, c’est assez confus.
En fait, pour faire une courte histoire longue, pendant tout le mois de juillet, je prends soin d’un loft en Haute ville, entre Grande-Allée et Saint-Jean. Pour moi, c’est le meilleur des deux mondes : j’emménage dans un loft meublé, donc la grosse partie plate est déjà faite. C’est bien connu, c’est moins dangereux de sauter du gros tremplin quand t’as connu le petit. Par contre, ça reste un défi pour une lunatique gâtée comme moi d’habiter seule. Ça m’angoisse, en général, les responsabilités. Le pire dans tout ça, c’est la mémoire. Les idées vont et viennent et s’entremêlent et restent prises et inopinément,
Tout.
disparaît.
C’est le black-out total.
Donc, évidemment, les erreurs de débutants, c’est mon créneau. J’ai donc préparé ici un concentré de ma première semaine seule.
Jour 1
À 10 h 30, j’ai rendez-vous avec la femme qui s’occupera de me donner les clés de l’appartement. J’attends dans l’auto de Maman, qui m’a fait le lift après m’avoir fait un gros sac de nourriture. Juste au cas où j’en manquerais. Cute. La femme est arrivée après nous. Pendant 15 minutes, on la voit zigonner dans sa voiture. C’eesst loonng ! Qu’est-ce qu’elle fait?
Elle finit par sortir. Salutations et tout le tralala après, on monte. C’est au troisième étage. Maman monte ma valise parce qu’elle la considère trop lourde pour mes petits bras faibles. Double cute. La femme ouvre la porte de l’appart. C’est beau, mais sainte, c’est petit! Pis il fait chaud! Mais c’est tellement bien situé, je chialerai pas!
Je dis au revoir à maman. C’est pas la tragédie grecque. Après tout, j’suis à 35 minutes et je reviens le 1er août.
Je défais mes mille sacs. Produits cosmétiques, livres que je vais sûrement oublier de lire, DVDs de séries que je vais probablement écouter en procrastinant. Les accessoires de mode. La bouffe! Merde la bouffe!! J’aurais dû faire ça en premier. Ark, j’espère que y’a rien qui a tourné.
Soudainement, un gargouillis venu d’outre-tombe me sort de Tétris 3D (Non mais, c’est vraiment petit là!). J’en profite ici pour démentir le mythe : les filles font bel et bien « caca ».
Fait que je m’enligne vers mon trône de princesse, pis juste à temps, je réalise que…
J’AI PAS ENCORE ACHETÉ DE PAPIER DE TOILETTE?!?
Je sors de l’appart et, évidemment, je rush à trouver la bonne clé dans le trousseau. Le stress embarque. Heureusement, ça calme mes intestins. Je cours d’un bord pis de l’autre pour trouver un dépanneur. Oh, cute, c’est comme une mini épicerie, pis le logo c’est une lune-soleil! Je me sens à ma place. J’en profite pour acheter de quoi survivre jusqu’au lendemain : 4 bols de nouilles ramen, de la sauce à spag, de la confiture… pis du papier de toilette. J’avais déjà oublié, c’est pour ça que je suis venue.
En fin d’après-midi, après avoir classé pis écrit toute la journée, je me dis que je devrais commencer à faire à souper. Ça me tente pas trop. J’ai une phobie des fours pis des gaffes. Heureusement, un texto m’invite à souper chez un ami. Sauvée par la cloche.
Le soir, en revenant, j’arrête au dépanneur. J’ai invité ma gang de filles à coucher à l’appart, pour le premier soir pis j’ai rien à leur offrir. Déjà que c’est tellement petit que je sais pas où elles vont dormir. Mais ça, on trouve toujours! Fait que j’empoigne du pepsi, du vin pis de la crème glacée, je me dirige vers la caissière. Je suis un peu gênée.
« Ouais, euh, grosse soirée! haha! » que je lui dis, comme pour excuser mon choix pas trop santé.
Jour 2
On se réveille pas trop tard, on va déjeuner dans un petit resto latin. Les filles partent.
J’envisage de trouver un endroit où ranger mes vêtements, en vain. Ils resteront dans ma valise. Je veux me faire à manger, mais j’ai pas grand-chose. Le frigo contient 6 bières et une bouteille de vin. J’ai mangé deux fois des nouilles ramen cette journée-là.
Coudonc, c’est-tu moi où c’est déjà le bordel, ici?
Je ramasse un peu les bières vides. Je fais la vaisselle. Tout va bien, je me trouve à mon affaire.
Le soir, je sors.
Jour 3
Je me réveille tard. Je veux me faire une omelette, mais j’ai pas de lait. J’pense me beurrer une toast, mais j’ai ni beurre ni pain. Ouin, c’est pas fort. J’vais me démaquiller, j’ai pas de ouate. Voyons là! Est où ma tête?
En soirée, je vais travailler. En revenant, je vais à l’épicerie. Arrivée à la caisse, j’ai oublié ma carte. Heureusement, le commis met ma facture sur attente, le temps que je passe à l’appart. Je reviens, je paye, je repars.
Mes amis me textent. On sort.
On revient à l’appart. Pu de carte de débit. Cibole là!
Je refais le chemin deux fois, je trouve rien. J’ai envie d’appeler ma mère pour lui dire que plus jamais je veux avoir de responsabilités. Mon ami me fait un grilled cheese pour me calmer.
« Julien, ça marche comment, le poêle? » que je lui dis, en ravalant le gros motton d’orgueil pris dans ma gorge.
« Tu me niaises-tu? »
Je suis gênée.
Jour 4
Je me lève tard. Je refais le chemin de la veille à la lumière en espérant fort fort. Rien.
Je regarde l’heure. Je suis en retard dans mon horaire. Je me prépare en vitesse, je vais travailler.
Le soir, je sors. Pauvre comme une souris d’église.
Je reviens. À jeun.
Jour 5
Je me lève en retard. C’est dur d’être à l’heure quand maman me réveille pas en beau maudit pour me dire que je vais encore rater mon bus. Heureusement, ici, je suis à 15 minutes à pied, contrairement à ma banlieue, où je fais deux heures d’autobus pour me rendre. Je me prépare en vitesse. Je rate mon eyeliner. Deux fois.
J’ai envie de crier et de pleurer, mais ça briserait encore plus mon maquillage. Une belle coulisse de goudron sur le bord de l’œil, ça aide pas les ventes.
J’engloutis encore une pizza pochette et je cours travailler.
En revenant, je croise mon ami cocher en train de conduire sa calèche, direct en face de chez moi. Je vire folle, j’ai essayé de le croiser toute la semaine!
Le soir, je sors. J’ai trouvé une coupe de piastres dans le fond de mon sac, je vais pouvoir partager un pichet de sangria! C’est fou, je suis libre comme l’air! Je suis certaine que ça ressemble à ça le bonheur!
Jour 6
Ouf. Léger mal de cœur en me levant. Je suis tellement fatiguée, c’est ridicule. Je suis sortie tous les soirs cette semaine. Faudrait que je me calme. J’suis excessive.
T’sais, les réserves d’énergie c’est comme les sacs de chips. En partant, c’est déjà à moitié vide. Pis une fois que tu commences à piger dedans, tu peux plus arrêter. Pis je suis gourmande.
Malgré tout, je me sens bien toute seule. Je me sens tellement épanouie que je m’imagine que les veines bleues royales sous la peau diaphane de mes yeux et de mes poignets, c’est des racines. Et qu’au bout, je vois les bourgeons devenir des belles fleurs bleues comme mes veines. Bleues, parce que ça me représente bien : j’suis fleur bleue. C’est pas si dur, en fait, habiter seule. Ça vaut la peine.
Le soir, j’ai vu deux amies et on s’est promenées dans mon quartier et au Petit Champlain.
Je t’aime, Québec, pis t’es belle. Surtout dans ta robe de nuit à paillettes.
Jour 7
C’est. Vraiment. Le. Bordel.
Mon père doit venir me visiter. Il part de Baie-Comeau et il arrive à soir. Pis s’il voit que j’habite dans une porcherie, il sera pas fier de sa lunatique-mais-Ô-combien-attachante-petite-fille-chérie.
J’alterne entre des gros coups de ménage et un peu de procrastination. J’admire le résultat final avec fierté. Je me félicite d’être une adulte responsable et autonome.
Papa sort de la voiture au moment où je vais porter mes déchets dans le bac. Je l’aide à transporter ses sacs.
« Ouin, t’aurais pu faire le ménage! » qu’il me lance.
Je pense qu’il m’en reste encore beaucoup à apprendre.