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La plus saoule de la terrasse

Cette histoire est arrivée à Sara. Il lui en arrive en esti des affaires à Sara, surtout l’été. Ce soir-là, c’était un mardi du mois d’août (si elle se fie aux drunk pics dans son téléphone et au « spécial du jour » sur les pintes), elle avait déboulé jusqu’au Deux 22 dans ses sandales en liège, déjà réchauffée de la sangria en baril qu’elle avait éclusée chez les copines, en après-midi. Ça fait que là, alcool aidant, elle commençait à avoir de la gadoue dans le discours. Pas grave. Y’était tard. Tout le monde sur la terrasse parlait le même langage. Tout le monde s’aimait bien à la table. Tout le monde se trouvait beau et sexy en même temps. Loquaces comme des princes, érudits comme pendant les Lumières. On se séduisait la face et on s’emmêlait les cheveux jusqu’au bout du cuir « échevelu ». Même que ça commençait à s’embrasser à deux langues. C’était pas grave pour la Sara, le vent tiède de la nuit donnait une erre d’aller à ses voltiges de bas étage. On s’embrassait non pas par coup de foudre. Même au contraire de. Elle frenchait pour clore un argument mou, sortir d’une discussion dont elle avait perdu le fil, trouver l’équilibre en collant ses gencives sur les amygdales de son voisin de table. Elle pensait même en avoir frenché deux, des voisins siamois. Ben non criss : c’était juste Sara qui voyait double. Mais là, y’était tard, ça n’irait pas plus loin. Les deux taponnaient leur téléphone après s’être taponnés, au rythme de leurs hoquets de pourceaux imbibés du tonneau. Ils se faisaient des promesses de revoyure. Cendrillonne pis French Prince of Balloune se séparent au bout du chemin avec la grosse conviction qu’une fois l’éthylisme descendu, leur balloune dégonflée, ils se reverront au climax de leur chimie mouillée. Promesses d’ivrognes, c’est sûr esti : y est trois heures! On farme.

Sara, là, ça pourrait être toi, toutes vous autres ma gang de cochonnes lubriques au coude léger. Fait que pour toi, je te fais un plan de survie si ça t’arrive. #mercimatante

LE LENDEMAIN

Mettons que c’est toi Sara, maintenant. Tu rouvres l’œil. Y fait clair dans ta chambre. Tes cheveux et ton oreiller sentent la robine. T’as encore tes bobettes (fiou!). Tu n’es pas démaquillée (ta mère serait pas fière). À côté du plat d’aluminium de frites froides qui traîne comme une couronne de gourmet loser sur ta table de chevet, tu vois briller l’écran de ton téléphone qui essaie de te crier quelque chose. Drunk texts from last night. Oh non! Toi qui ris de ça quand ça arrive aux autres. Une sueur froide de peur et de dégueulis de lendemain de brosse latent te parcourt l’échine comme des Espagnols pendant la course au taureau de Pamplona. T’espères de toutes tes forces que tu n’as pas texté une photo de tes boules. Ou, si c’est le cas, t’espères que la figure sainte des cochonnes, Sainte-Nichoune, a veillé à ce que tu la prennes dans un angle qui t’avantage le chest, en crissant 2-3 beaux filtres dessus ta pic. Bon, pas de photos. Des bulles de textes. Beaucoup… Me semble qu’hier, vous parliez d’Hemingway. De la montée de la droite. Du fossé qui sépare de plus en plus les individus, tiraillés par des intérêts politiques qui mèneront le peuple à sa perte, de l’environnement, de cinéma allemand. Premier texto : « Eilllllle Toééé,,,,, Jte mangerais le bat!!!!!!!! ;P ;P ;P XXXX ».

Oh criss. Ça regarde pas si bien que ça, ma petite Maya Angelou des mouches à fruits. Tu découvres que vous vous êtes ajoutés sur Snapchat. Comme si vous aviez encore dix-sept ans. Tu constates que les photos de graine embrouillées reçues (les photos, pas la graine) sont pas « t’affaite » au niveau des poèmes d’amour de Ronsard ou de n’importe quel câlisse avec un béret. Mais bon, c’est avec gêne que vous constatez que vous avez tous deux conclu vos échanges avec la promesse de vous revoir. Ce soir, au restaurant. Regarde comme si ça tombe bien : vous avez en ami commun le gros Chabot, et c’est son souper de fête à soir. Tout le monde va être là, pis vous autres aussi, les tourtereaux. Wow! Ça regarde tu comme la deuxième date la plus awkward sua Terre? 83 % des Canadiens pensent que oui.

On va se le dire, ma Sara, ma Jacqueline, ma Stéphanie, ma Josée, ça ne regarde pas bien. C’est les mains froides et le foie tiède que, rendue au soir venu, tu cherches comment t’habiller. Tes amies de fille diraient « Mets de quoi de super low profile, attache-toi les cheveux. Faut so pas qu’il pense que t’es truie tout le temps comme hier soir. » Erreur! Comme Scarlett O’Hara dans Gone with the Wind, après qu’a se soit faite pogner à faire la catin avec Ashley Wilkes (c’est un gars, sérieux, va voir le film), ben elle est trop gênée pour se pointer dans un party après pis lui revoir la face. Rhett Butler (le Claude Legault de son temps) lui dit « Nenon tabarnak, si tu te pointes pas là, tu pourras pu jamais aller dans aucun autre esti de party, pis là ça va devenir gênant. Casse le malaise tu suite, bae. »

Ben toi, t’es PAREILLE comme Scarlett, fait que mets la petite robe que t’as achetée sur eBay (celle-là que t’es trop gênée d’habitude pour mettre à jeun), pis fonce direct rejoindre les autres au Patente et Machin, le gros Chabot attend.

Au restaurant. Tu revois ton French Prince. Poignée de main? Becs sur les joues? Sur la bouche? Branlette kazakhe? Pipe amicale? Vas-y avec une accolade franche et essaie d’établir un contact visuel avec la bête. T’es un « animau » toi aussi, reniflez-vous pour savoir ce que vous voulez. Option A : il a les yeux vitreux, encore ben saoul d’hier soir, et il pense juste à reprendre où vous vous étiez laissés pis à t’« emboufter » avant que reçoives ta crème brûlée au Grand Marnier. Option B : il regarde à terre un peu, à moitié gêné pis effrayé que toi tu lui sautes dessus ou que vous n’ayez rien à vous dire, pis que ça soit bizarre, fait qu’il s’assoit loin de toi pis il te parle pu jamais, quitte à se planter la fourchette à oursin dans la jugulaire pour éviter un « Pis toi, qu’est-ce tu fais, donc, dans la vie? ». Ben câlisse, Sara, dans la vraie vie, ça va être l’option C.

  1. Ça va être malaisant pendant les douze premières minutes parce que le gros Chabot va vouloir que vous soyez assis à côté (clin d’œil, clin d’œil).
  2. Vous allez vous rendre compte que vous êtes les deux seules moumounes à triper sur le vin nature, fait que vous aurez pas le choix de partager la bouteille ensemble plutôt qu’avec le groupe.
  3. Vous allez boire quatre bouteilles parce que vous n’avez pas eu d’enfance.
  4. Avant les fromages et desserts, vous allez encore vous frencher pis vous trouver intelligents et sexy en même temps.

Morale de cette histoire : ne t’en fais pas avec les coutumes, le naturel revient au galop comme un cochon pis une truie dans leur bouette. Le seul conseil que ta mère pis moi on va te donner (on se parle beaucoup sur Face’), c’est que les paroles s’envolent, les écrits restent. Slaque le réseautage et les promesses futures qui pourront te mettre dans l’embarras, mais continue de t’épivarder vu que t’aimes tant ça, et vis ton moment présent en « mode Avion »!

« Les Carole s’envolent, les étruies restent. »

– Margaret Atwood

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