Le titre de la pièce le laisse miroiter, Voyage(s) ne réfère pas qu’à un déplacement géographique, il est aussi intérieur, jusqu’aux bas-fonds de la mémoire. La pièce du metteur en scène Hanna Abh El Nour, présentée à La Chapelle avec la compagnie Volte 21, nous transporte dans un paysage rocailleux et aride, terre tracée de lignes concentriques, que les personnages façonnent au gré de leurs déplacements. Moyen-Orient, Haïti, Amérique latine, les comédiens enchaînent les danses et creusent le sol pour en soutirer les souvenirs enfouis. Cambiar, cambiar, j’ai changé, ressasse le comédien Sylvio Arriola. J’ai 61 ans, j’ai 41 ans, j’ai 18 ans, tour à tour, les fenêtres s’ouvrent sur le passé du voyageur, autant d’atmosphères, transmises tantôt en musique par le talentueux Radwan Moumeh de Jerusalem in my heart, tantôt par les jeux de lumière de Martin Sirois. La distribution est complétée par les acteurs Marc Béland et Stefan Verna, qui usent de leurs talents de danseurs du début à la fin, et finissent la pièce transis, comme après une journée de marche au milieu d’un pays qu’on ratisse.
J’étais à la fois perdue dans le souvenir de mes précédents voyages, mais aussi à l’affût des déplacements répétitifs et de l’univers plutôt hermétique de la pièce. Voyage(s) tombe juste sur la note du dépaysement, parce qu’on est littéralement emmené quelque part, dans un espace plat aux horizons fuyants, à la limite de ceux des films de Jodorowsky. Nicolas Bouvier écrivait dans L’usage du monde que : « Le voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. » Une chose est sûre, Voyage(s) nous déboussole, du moins, nous fait tomber au fond de la mémoire, quelque part entre le Québec et l’ailleurs.
La pièce multidisciplinaire sera à l’affiche jusqu’au 3 février à La Chapelle.
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