Je déteste m’épiler. Me raser prend trop de temps pour un résultat qui dure une journée, tout au plus. J’ai arrêté de m’épiler les jambes. De me raser les jambes. Je porte des shorts, des jupes, des robes comme je n’en ai jamais portés. Je me sens fière, comme si j’avais accompli une action honorable, mémorable, mais j’ai tout simplement arrêté de me faire mal sur une base quotidienne. Mais c’est surtout depuis que je suis tombée sur une vidéo, un peu par hasard, sur Facebook.
Cette vidéo est issue d’une collaboration entre le magazine web Allure et la page Facebook Style Like U, qui s’est fait connaître par ses vidéos du projet What’s Underneath. Dans ces courts-métrages, une femme répond à des questions sur son cheminement personnel et sur son acceptation de soi tout en se déshabillant, en se mettant en nu, en s’exposant au regard du spectateur. C’est certes déconcertant comme concept, mais c’est surtout touchant de voir ces femmes si fortes révéler une vulnérabilité enfouie sous plusieurs couches de tissu. Cathartique, thérapeutique, on n’y sort rarement indemne.
Bref, pour en revenir à ma vidéo, il était tard quand je l’ai trouvée et j’avais les yeux lourds face à la clarté de mon écran. Comment pouvais-je alors savoir, à cette heure tardive de la nuit, qu’à la suite de son visionnement, j’aurais une totale perspective de ce que c’est que d’être libre de son corps?
Depuis longtemps déjà, le poil est vu comme un objet inesthétique, peu hygiénique, c’est un sujet tabou, un grand absent de tous les médias, de la porno, du cinéma, des revues mode… On pense que les hommes, les femmes qu’on voit à la télé sont nés ainsi, qu’il n’a pas fallu des milliers de dollars, des centaines d’heures et beaucoup de douleur pour qu’ils paraissent ainsi.
Monica Hernandez, Alexandra Marzella et Ayqa Khan sont les trois jeunes femmes au coeur de cette vidéo. Elles racontent l’évolution de leur rapport avec la pilosité, comment elles ont pris la décision d’arrêter de se raser/s’épiler, comment elles appréhendent le regard de l’autre, mais surtout, comment elles définissent leur féminité. Pour elles, le poil était devenu synonyme d’asservissement – social, temporel, individuel. Et leur long combat pour l’émancipation de soi devait passer par cet acte ostentatoire du port du poil.
On le voit déjà, par leur allure, leur style, elles sont originales, ont contrecarré la norme. On pourrait les trouver excentriques, frivoles, mais je crois que ces femmes posent un geste de protestation et qu’elles ne se bornent pas à suivre la dernière mode des aisselles aux poils longs.
Quand je suis entrée en 5e année du primaire, j’ai remarqué que j’avais beaucoup de poils entre mes sourcils. Et au-dessus de mes lèvres. Noirs. Déjà, je savais que ce n’était pas considéré comme beau, que les autres filles blondes n’avaient pas ce problème, et je me sentais anormale, voire laide. Ma mère m’a amenée à la pharmacie pour me trouver un produit décolorant. Une allée entière était dédiée aux produits d’épilation… Je ne devais pas être à la seule à être obsédée par son monosourcil et sa moustache.
Avec ma puberté est arrivé le poil aux endroits les plus gênants : les jambes, les aisselles, la région pubienne… En secondaire 2, j’avais mon rasoir que j’utilisais régulièrement. J’étais enfin devenue une femme, une femme qui se rase et qui s’occupe d’elle, de son hygiène, de son apparence physique. Je n’avais pas encore saisi qu’il était attendu de moi que je me rase quotidiennement, et ce, pour les 60 années et plus qui composeraient ma vie.
Pourtant, je ne m’étais jamais posé de questions, comme si le fait de me raser, de m’épiler, de me trouver sans poils m’aidait à me sentir plus femme, comme si ma pilosité corporelle devait dicter ma capacité à me sentir féminine.
À 18 ans, je viens à peine d’entrer dans le stade de la vie adulte et par extension, de la vie de femme. Surtout, je viens à peine de constater que mon corps ne m’appartient pas entièrement; il appartient entre autres aux standards de beauté qui caractérisent notre société. Beaucoup de décisions que je prends quant à mon apparence ne sont pas issues de ma propre personne. Et si je veux faire fi de ce qu’on attend de moi, ça prend une force inouïe, une force de détachement que je ne possède pas encore.
Au final, certains vont dire que c’est un peu futile comme débat, la pilosité. « Rase-toi, rase-toi pas, on s’en fout! » Je dirais plutôt que notre vision en tant que société par rapport à la pilosité en dit long sur la pression sociale ambiante; on sait qu’il existe, mais on ne veut pas le voir… Ce qui est le plus troublant, ce n’est pas l’élimination du poil lui-même, c’est que plusieurs se sentent obligés de se raser/s’épiler et l’assimilent comme étant un geste automatique, naturel. « Rase-toi, rase-toi pas, on s’en fout! » C’est vrai. Tous devraient faire ce qui leur tente et être respectés pour leurs décisions. Mais j’applaudis. J’applaudis ces femmes qui portent leurs poils comme un trophée, comme une forme d’affirmation de soi, comme une forme de réappropriation de leur corps. Le poil devient signe de protestation, de rébellion, alors qu’il redevient partie intégrante de ce qui compose la femme, être poilu parmi tant d’autres. Drôle, triste ironie, dira-t-on…
Par Anne-Sophie Lê