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J'veux pas dénoncer

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J’veux pas dénoncer.

J’veux pas dénoncer. Le mouvement est pertinent, nécessaire. J’ai des amies qui ont eu une grosse influence dans la vague. J’les appuie inconditionnellement. Faut qu’les choses changent.

Mais j’veux pas dénoncer. J’ai peur de l’dire, j’veux pas leur nuire. Sont tellement courageuses pis résilientes pis persévérantes pis ambitieuses. Pis on a tous.tes besoin que les choses changent.

J’ai besoin, j’ai infiniment besoin que ça change. Des hommes m’objectifient dans la rue et ça me met hors de moi, pis câline que j’aimerais ça croire que j’serai pus jamais violée. Mais croire ça, c’est déjà dangereux. Parce qu’on sait jamais, on sait fucking jamais quand ça va s’passer, avec qui, où, comment.

Juste dans la dernière semaine, j’ai été interrompue dans mon jogging par un gars qui m’a promis un rabais dans sa boutique en me faisant un clin d’œil et qui m’a demandé mon nom et mon numéro « pour le rabais », j’ai dû dire à mon voisin d’en face que j’avais besoin d’espace parce qu’y m’observait de l’autre côté de la rue et cognait quotidiennement à ma porte, et un gars en chest m’a catcallé dans un parc.

Pis ça, c’est le genre de choses que trop de gens banalisent. Pendant ce temps-là, ça me rappelle que le viol est caché derrière un arbre que je frôle en joggant tard le soir parce qu’y fait trop chaud le jour, que le viol est offert dans le prochain casseau de fraises que mon voisin m’apportera, que le viol est exhibé comme le chest du gars au parc.

Faut que ça change.

Mais j’veux pas dénoncer. Pour plein de raisons, toutes aussi valides que celles des survivantes qui dénoncent. J’veux pas dénoncer, mais je l’ai fait, pis je comprends tellement le besoin de le faire. C’est juste que j’suis en beau fusil qu’on ait besoin de faire ça, de partir en guerre, d’identifier des ennemis, de choisir un camp. Je choisis le camp des survivantes, c’est sûr, c’est le mien. Mais j’ai besoin de dire que j’aimerais tellement mieux qu’on soit pas en guerre.

Y’a plein de choses qui ont changé sans guerre. On n’en parle pas, mais ça s’est passé pis ça se passe encore. Mais il semblerait qu’il faille se rendre là pour que les gens respectent le simple principe que chaque personne peut décider librement de ce qu’elle fait avec son corps.

J’suis honnêtement pas certaine de ce qui me fâche le plus : être catcallée ou avoir l’impression que je peux pas régler mes problèmes pacifiquement.

Parce que moi, ce que je voudrais faire, dans l’idéal utopiste qui, je sais, n’est pas envisageable à l’échelle du changement qui est dû pour hier, c’est pas punir, c’est pas condamner, mais plutôt réveiller la compassion. J’me dis que mes agresseurs, y manquent simplement d’empathie, pis que les témoins, y’ont manqué de responsabilité. Y m’ont pas vue comme leur égale, y se sont pas reconnus en moi, y’ont pas été capables de se mettre à ma place, y m’ont déshumanisée, y m’ont vue comme un objet, pis on se sent pas coupable de faire mal à un objet, c’est juste un objet.

Ça se passe dans le sexisme, mais aussi dans le racisme, l’homophobie, la transphobie, l’âgisme, le capacitisme, la grossophobie et le spécisme. On manque d’empathie, pis les êtres vivants dans lesquels on se reconnaît pas, on les traite moins bien.

J’veux pas dénoncer, mais je l’ai déjà fait.

Un gars m’a étranglée dans un party. J’ai porté plainte. Ç’a été le seul que j’ai voulu punir. Je savais que j’avais aucune chance de faire condamner le gars ; on s’est même pas rendus en cour. Mais j’ai fini par contacter le gars, des mois après l’événement. J’y ai raconté les cauchemars, mon incapacité à me chamailler avec mon meilleur ami, ma peur de mettre mes limites avec les gars s’a cruise. Y m’a raconté l’appel, l’interrogatoire, les empreintes digitales, la peur de perdre sa job d’enseignant, la culpabilité d’avoir fait quelque chose qu’y aurait jamais cru qu’y était capable de faire. C’était pas un monstre, j’étais pas un objet ; on était deux êtres humains qui avaient eu ben peur de ce que l’autre voulait pas faire, mais a fait quand même, faute de meilleure solution en tête à ce moment-là.

Si j’avais pas porté plainte, est-ce qu’on se serait compris ? Je sais pas. Mais le processus judiciaire m’a fait probablement aussi mal qu’à lui, si c’est pas plus. Parce que j’ai entendu un officier rire quand je racontais mon histoire, une femme me dire : « T’as quoi, vingt ans ? Prends ça comme une leçon de vie. Moi aussi, j’suis pour l’égalité ; j’suis une femme dans un milieu d’hommes. Pis l’égalité, c’est que si tu provoques un gars, ça s’peut qu’y t’frappe. » Pis cet homme pis cette femme sont pas à blâmer individuellement. J’éprouve de la pitié pour cette pauvre chouette qui a dû banaliser énormément de violences de la part de ses collègues pour obtenir et conserver le poste qu’elle occupe. Je les regarde comme je regarde des enfants qui font de l’intimidation dans une cour d’asphalte parce qu’y ont pas appris une autre façon de pas subir eux-mêmes de l’intimidation.

J’ai envie d’apprendre aux gens qu’on peut se protéger de l’intimidation en aidant les autres et en s’aidant soi-même. J’ai envie d’être vue comme une personne à part entière, pas un objet, pis la première étape, c’est de moi-même me considérer avec bienveillance et responsabilité. J’ai envie que l’autre sache que j’existe et que je mérite de l’amour et du respect parce que je m’en donne à moi-même. J’ai envie d’être reconnue comme un être vivant avec des émotions et une volonté propres.

Pour ça, faudrait qu’on parle en bien de nous. Faudrait qu’y’ait trop de films, de séries, de livres, d’articles avec des personnages féminins, queer et trans, avec des personnages aux corps, aux visages, aux couleurs et aux capacités variés, trop pour qu’on soit capables de les connaître tous, trop pour qu’on trouve ça spécial, trop pour que ce soit possible de pas avoir d’empathie pour nous, de pas comprendre comment on se sent. Faudrait qu’on mette en place des stratégies proactives pour réveiller l’empathie des gens. Pis arrêtons de dire que c’est parce qu’y’en a pas beaucoup. Y’a juste 1 % des gens qui font partie du 1 % le plus riche, pis on les traite pas comme les personnes trans, comme les personnes de couleur, comme les personnes aux capacités différentes. Pis les personnes grosses pis les personnes vivant avec des difficultés psychologiques, elles sont pas rares.

Faudrait aussi qu’on encourage les gens à exprimer leurs limites et à respecter celles des autres, à communiquer leurs émotions de façon responsable et à accueillir celles des autres. Faudrait que les personnes privilégiées fassent plus confiance aux personnes opprimées, parce que les personnes opprimées risquent beaucoup plus en baissant leur garde. Faudrait cultiver un sentiment d’appartenance à nos communautés en incluant le plus de gens possible. Y’a moyen de cultiver du respect pis de l’amour entre deux êtres vivants pis c’est pas en arrosant mon jardin de colère et de haine que j’arrive à me nourrir de bonheur.

J’veux pas dénoncer. Mais j’ai longtemps pas eu le choix. Pis je suis tannée qu’on me dise que « y’a des enjeux plus importants » quand on milite pour la compassion pis qu’on me dise qu’on va « trop loin » quand on milite contre la violence.

J’veux pas dénoncer, mais faut que ça change. Tu proposes quoi ?

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