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Jutra, Ghomeshi, Cosby, Aubut…

Pourquoi retirer le nom de Claude Jutra d’une cérémonie de commémoration du travail cinématographique québécois? Changer le nom de certaines rues, de certains parcs? Retirer narquoisement l’enseigne portant le nom de Marcel Aubut du mur de l’aréna de la ville de Saint-Hubert à Infoman?

Il n’est pas question, ici, de reléguer le travail d’un grand réalisateur aux oubliettes, ni de rejeter son art, sa parole ou son empire artistique. (Qui n’a jamais visionné de Pasolini, de Polanski ou de Allen, en toute connaissance de cause?) Il est plutôt question de ne pas utiliser un nom de supposé agresseur lors de la célébration publique que sont les Jutra. C’est une manière de respecter le/la/les victime(s). On ne va pas, après des allusions criminelles, aller remettre des statuettes nommées en l’honneur d’un présumé pédophile à des artistes. « Bravo, tu as bien joué, voici un pédo, tu peux l’exposer sur le manteau de ta cheminée. »

Ah et aussi, parlons de traitement. Monsieur Caron (nom fictif), quarantaine, a violé pendant douze ans la petite voisine d’à côté. On passe aux nouvelles de dix-huit heures l’annonce de sa présumée culpabilité, on montre une photo de sa face, que la population va immédiatement associer à une face de pédophile dangereux. Il va perdre sa job, sa réputation, et son entourage et ses proches vont le juger.

Mais Jutra lui, n’est pas inconnu. Il possède une œuvre artistique qui l’a rendu célèbre, il a des amis de la trempe de Lise Payette, qui confondent homosexualité et pédophilie… On le défend par-ci, par-là, mais pourquoi? Certes, l’homme est mort, ressortir cette histoire entache sa réputation et il ne peut pas se défendre, mais, soyons honnêtes, on le défend à cause de son statut. On le défend lui, mais on ne défend pas monsieur Caron, nobody quarantenaire qui « fitte » dans le moule du pédo de la banlieue, et c’est excessivement malsain. C’est une preuve encore plus sale qu’il y a une loi pour les gens riches et célèbres et une autre pour le reste du monde, comme si Jutra passait pour un pédéraste et monsieur Caron pour un osti de pédo. Ça, c’est la première affaire.

Deuxièmement, arrêtez, s’il vous plaît, de traiter les victimes de menteuses! Savez-vous l’ampleur du processus que ça peut prendre avant d’accepter de parler? Ça prend du temps en tabarnouche avant d’avoir suffisamment confiance en quelqu’un pour s’ouvrir. La honte ressentie après une agression ronge une victime, parfois pendant des années. S’il s’agit d’une personne proche (comme c’est souvent le cas), d’une personne célèbre ou avec une certaine autorité (comme c’est le cas présentement dans l’actualité), pouvez-vous comprendre que c’est encore plus délicat?

Je me suis promenée sur les réseaux sociaux, ces dernières semaines, et l’accueil médiatique que réservent certains aux victimes d’agressions sexuelles me fait froid dans le dos. « On ne peut pas croire les victimes sans preuve! On est dans un système où on est innocent jusqu’à preuve du contraire! » Oui, en effet, c’est le cas. Mais douter instantanément de la véracité des propos des victimes de crimes sexuels, c’est un peu se mettre la tête dans le sable.

Il y a deux camps; ça, je l’ai compris. Les agresseurs, les agressés. Soupçonner la parole des deuxièmes, qui n’ont que ça, la parole, parce que trop fragiles et honteux, c’est foutument dangereux. Je ne veux pas dire, ici, de ne pas croire les présumés agresseurs, ils ont aussi leur témoignage, mais ces jours-ci, la tendance semble tanguer vers le doute quant aux déclarations des victimes…

Que leur envoie-t-on comme message, alors? Vous pouvez parler! Mais on ne va pas vous croire! Hihi, hoho.

Il faut écouter plutôt que condamner. Où la société s’en va-t-elle si les victimes sont rendues muettes ou trop souvent jugées menteuses, comme c’est le cas dans l’affaire Ghomeshi? On détruit la mince brèche qui permettait ces mêmes déclarations, ces mêmes possibilités de délivrance de lourds secrets.

Veut-on vraiment museler les gens qui souffrent? Il faut faire attention à l’effet bâillon, c’est une lame à deux tranchants.

Oui, être innocent jusqu’à preuve du contraire est une bonne chose, cela protège de graves erreurs judiciaires comme c’est souvent le cas aux États-Unis, mais il faut faire bien attention de ne pas décourager de futurs témoignages.

Photo de couverture : Source

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